Opéra de Rouen Normandie, 28 janvier
Après avoir revu, il y a quelques semaines au Théâtre des Champs-Élysées, la production de référence d’Olivier Py (voir O. M. n° 209 p. 67 de février), il est passionnant de découvrir la proposition, toute différente, de Tiphaine Raffier. Pour sa première mise en scène d’opéra, la metteuse en scène, riche de son expérience théâtrale, court le risque calculé de la transposition à l’époque contemporaine, discrète toutefois, avec des décors et des costumes sobres, mais soigneusement pensés. Et ingénieusement contrepointée par des textes d’époque projetés sur le rideau ou en bandeau au-dessus de la scène, qui ancrent solidement dans la période révolutionnaire. Jusqu’à ce que l’irruption de soldats armés de kalachnikovs et des vidéos montrant les visages terrifiés des condamnées, lors des scènes finales, ne nous fassent retomber, assez brièvement par bonheur, dans l’ornière des clichés à la mode.
Les décors d’Hélène Jourdan surprennent d’abord, avec cette longue pièce basse qui sert de salon et de chambre à coucher au Marquis de la Force, fermée par un grand rideau d’un mauve tout épiscopal, mais qui découvre peu à peu des murs couverts d’images très signifiantes, ouvrant sur un joli jardin fleuri. Elle se verra substituer la très austère chapelle, intemporelle, du couvent, avant de s’ouvrir et de s’élargir très bellement sur le plateau dégagé, fermé au fond par un haut mur de plaques métalliques, après qu’au sol, une machine à laver vite enlevée a absorbé le rideau mauve initial. Pour s’entrouvrir finalement en laissant percer les rayons blancs d’une promesse de rédemption ou de transfiguration.
Parachevant le suivi d’une direction d’acteurs très poussée, dans les mouvements de groupe tout particulièrement, la chute brutale des Carmélites sur le sol inondé de la pluie tombée des cintres donne un final moins saisissant que celui d’Olivier Py, mais tout de même très réussi et d’une force impressionnante. Un excellent plateau achève d’emporter l’adhésion. Après la très belle prestation de Jean-Fernand Setti en Marquis, monumental par la stature comme par la voix profonde, il est dominé par l’étonnante Blanche de la Force de la jeune Hélène Carpentier, dans ses remarquables débuts de carrière : menue, mais puissante, et ardente surtout, pour une incarnation très émouvante. En face d’elle, s’impose – et s’expose très crûment – une Lucile Richardot bouleversante dans l’agonie de Madame de Croissy, presque insupportable de réalisme même, sur son lit d’infirmerie. Le très noble et bien chantant Chevalier de la Force de Julien Henric (nommé aux Victoires de la Musique classique en 2025) contribue à adoucir les angles, tandis qu’en seconde partie se déploie la somptueuse, chaude et puissante voix de velours de la soprano Axelle Fanyo, au registre large, mais qui donne une Madame Lidoine pas toujours compréhensible. Non moins énergique, les Mères Marie et Jeanne d’Eugénie Joneau et Aurélia Legay, ainsi que l’agile et espiègle Constance d’Emy Gazeilles, devant de bons comprimari. Brillante.
Ben Glassberg, le directeur musical de l’Opéra de Normandie, fait valoir, non sans quelques duretés d’accents, le plus pathétique et violent de l’œuvre avec un orchestre maison, auquel on pardonnera facilement des accrocs de cuivres ici et là, et l’excellent Chœur Accentus en résidence. Malgré tout, une production remarquablement élaborée, qu’on aura plaisir à revoir lors de sa reprise à Nancy, coproducteur, en janvier 2026.
FRANÇOIS LEHEL