Théâtre Graslin, 9 octobre
Après la création, par l’Opéra National de Paris, du Soulier de satin selon Marc-André Dalbavie, en mai 2021 (voir O. M. n° 174 p. 57 de juillet-août), voici venir celle de L’Annonce faite à Marie de Philippe Leroux (né en 1959), ouvrage, lui aussi, inspiré d’une pièce de Paul Claudel, et fruit d’une commande d’Angers Nantes Opéra, en coproduction avec l’Opéra de Rennes et l’Ircam-Centre Pompidou.
Autant Le Soulier de satin inclinait vers la fresque historique, autant L’Annonce faite à Marie est une réflexion intime, située dans « un Moyen Âge de convention », selon le mot de Claudel, lui-même. Il est ici question de Violaine qui, après avoir embrassé Pierre, un lépreux, est répudiée par Jacques, son fiancé, lequel épouse Mara, la sœur cadette de Violaine. Aubaine, l’enfant de Mara et de Jacques, meurt subitement, mais Violaine, par sa foi en Dieu, la ressuscite, pendant la nuit de Noël, faisant s’interroger chacun des personnages sur ce miracle.
À partir de cette trame, Philippe Leroux a conçu un opéra qui épouse le déroulement de la pièce, sans chercher à perturber la narration. Le livret de Raphaèle Fleury (qui avait déjà signé celui du Soulier de satin, cité plus haut) suit fidèlement la succession des péripéties, et l’ironie ou la distance n’ont pas de place ici.
La seule liberté que se permet le compositeur français est l’intervention de la voix de Claudel, décédé en 1955, qui, grâce à un synthétiseur neuronal mis au point par l’Ircam, vient dire quelques mots de son texte, à la manière d’un commentaire venu de l’au-delà. L’effet reste anecdotique, l’action se poursuivant inlassablement, malgré cette voix tutélaire qui, quoi qu’elle dise, ne peut pas empêcher les personnages d’échapper à leur créateur.
Selon Philippe Leroux, qui a mûri pendant quarante ans son projet, l’auditeur d’aujourd’hui, nourri d’enregistrements divers, de musiques extra-européennes, de sons travaillés en studio, « escompte un rapport différent avec les voix des chanteurs ». N’est-ce pas précisément le contraire ? Le retour en grâce de l’opéra auprès de compositeurs qui, tel le Jacques de L’Annonce faite à Marie, auraient autrefois tourné le dos à un genre réputé malade, voire moribond, n’est-il pas le signe d’un besoin de chant ?
À cet égard, Philippe Leroux ne fait pas de choix définitif : ses personnages s’expriment par un récitatif soigné, lent, assez statique, agrémenté de syllabes répétées, de glissandi et d’onomatopées qui, au début de l’opéra surtout, occupent la place des ornements dans l’opéra baroque ou le bel canto. On regrette simplement que toutes les voix soient amplifiées, sans que le dispositif électroacoustique de l’Ircam les soumette à des transformations spectaculaires, sinon quelques effets d’écho ou de spatialisation.
On ne peut que saluer la manière dont les six chanteurs interprètent leurs personnages, notamment les deux sopranos. Le beau timbre de Sophia Burgos impose peu à peu Mara comme le moteur de l’ouvrage, face à l’élégiaque Violaine de Raphaële Kennedy, la fin de la partition osant un peu plus de lyrisme. Tous articulent très bien le français, à commencer par le ténor Vincent Bouchot et le baryton Charles Rice, dont les rôles sont écrits de manière plus rustique, cependant que le baryton-basse Marc Scoffoni joue les pères nobles et que la mezzo Els Janssens-Vanmunster est la mère éplorée qu’on attend.
Dans la fosse, l’Ensemble Cairn est dirigé avec rigueur par Guillaume Bourgogne. La trompette, la clarinette, les percussions se dégagent parfois du tapis sonore, mais on aurait aimé que Philippe Leroux fasse davantage confiance aux timbres instrumentaux, qu’il les individualise, qu’il joue du silence, qu’il crée des ruptures ; ainsi voit-on une guitare qui jamais ne fait entendre clairement sa couleur particulière. L’acoustique intime du Théâtre Graslin, pourtant, permettrait des moments purement acoustiques, précisément, qui donneraient à l’ouvrage un tout autre relief.
La mise en scène de Célie Pauthe accompagne fidèlement l’histoire. Dans un décor unique et dépouillé, représentant une pièce aux murs hauts, de couleur gris-argenté, un seul accessoire attire l’œil : ce bureau, côté cour, ne peut être que celui de Claudel, qui est un peu le Commandeur de l’opéra de Philippe Leroux. Les personnages sont habillés de costumes élémentaires, aux couleurs franches, qui illustrent ce « Moyen Âge de convention » évoqué plus haut.
Leur gestique est réaliste, Violaine prenant à la fin la pose d’une Pietà, nouvelle Marie capable de ressusciter l’enfant de Mara. Parfois s’ouvre le fond du décor, qui permet la projection de paysages filmés dans le Tardenois, région située aux confins de la Marne et de l’Aisne, où Claudel vit le jour. Il y a là quelque chose de rude qu’on aurait souhaité retrouver dans la musique, que l’appareillage technologique prive d’une partie de sa fraîcheur.
CHRISTIAN WASSELIN