Théâtre Royal, 10 octobre
Le chassé-croisé amoureux de Così fan tutte autorise quasiment toutes les transpositions temporelles et géographiques sans risque pour le propos. Dans cette nouvelle production de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, le metteur en scène Vincent Dujardin nous transporte dans l’Amérique des années 1950-1960 et leur esthétique rockabilly. Les jeunes hommes arborent ainsi coiffures gominées, blousons de cuir, jeans, chemises à col ouvert et santiags tandis que les sœurs se parent de robes swing et de choucroutes. Don Alfonso opte quant à lui pour l’austère costume trois pièces pour asseoir sa domination tandis que Despina porte la classique tenue de soubrette.
Plaisant et photogénique, ce parti pris est complété par un décor façon maison de poupée qui joue les intérieur/extérieur grâce à des panneaux pivotants figurant un salon ou un jardin. Et au centre, un escalier monumental qui mène à la chambre des jeunes femmes. Dans cet écrin, le drame ou la farce qui se joue repose davantage sur la personnalité des chanteurs que sur les audaces d’une mise en scène qui reste assez classique hormis l’accent porté sur Don Alfonso, figure tutélaire un peu inquiétante. Homogène et presque exclusivement italienne, la distribution est solide et efficace.
Au départ un peu raide, la Fiordiligi de Francesca Dotto gagne en rondeur et en souplesse au fil de l’œuvre. La soprano livre ainsi un « Come scoglio » vigoureux et agile et un « Per pietà, ben mio, perdona » d’une subtilité admirable et d’une grande maîtrise technique. Face à elle, la Dorabella de Josè Maria Lo Monaco déploie son timbre riche et cuivré avec aisance et incarne à merveille la plus piquante des deux sœurs. Côté fiancés, Maxim Minorov est un Ferrando vaillant. La voix est robuste, claire et véloce. Le Guglielmo de Vittorio Prato est lui aussi irréprochable, avec une émission facile et une belle projection. Tous deux prennent par ailleurs un plaisir manifeste à incarner ces jeunes amoureux et à jouer la duplicité en grossissant le trait de leurs alter ego albanais.
Grand ordonnateur de cette tragi-comédie, Don Alfonso est campé avec brio par Marco Filippo Romano, qui allie gouaille et morgue avec une voix puissante imposant l’autorité. Moins convaincante, Lavinia Bini est une Despina un peu fade, qui n’assume pas l’excès burlesque du personnage et se révèle très inégale sur le plan vocal, avec des médiums et des passages de registres discutables. Au-delà des performances individuelles, il faut également saluer la beauté des ensembles de cette partition chorale.
L’œuvre est dirigée par Sieva Borzak, un jeune chef italo-russe, élève notamment de Riccardo Muti, Daniel Oren et Daniele Gatti. Tout juste lauréat de la troisième édition du Concours International de Direction d’Orchestre d’Opéra (CIDOO) de la maison liégeoise, il propose, avec l’orchestre toujours impeccable, une interprétation nerveuse aux tempi soutenus et aux couleurs chatoyantes, faisant presque oublier les menus décalages avec les chanteurs qui disparaîtront certainement au fil des représentations. Ainsi, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège nous offre une nouvelle fois un spectacle de grande qualité, largement salué par le public de cette première.
KATIA CHOQUER
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