Théâtre Graslin, 18 décembre
Coproduction entre Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes, cette nouvelle mise en scène de La clemenza di Tito était prête à être présentée au public, en mars 2020, quand le confinement a contraint à la reporter.
Le travail de Pierre-Emmanuel Rousseau est intelligent ; la transposition de l’intrigue dans un XXe siècle à références multiples (même si l’on pense beaucoup à l’Italie fasciste), flatteuse pour l’œil, fonctionne bien. Et l’on apprécie la très précise direction d’acteurs, profondément musicale dans sa façon de caler un mouvement sur les événements de la partition.
La cohérence dramatique, pourtant, nous semble parfois sacrifiée à un spectaculaire intégrant mal la dramaturgie. Ainsi du superbe tableau d’incendie, aperçu à travers les portes entrouvertes, au finale de l’acte I : comment, dans ce contexte de panique, peut-on introduire une table de banquet, à laquelle tous s’assoient pour trinquer, comme si de rien n’était ? Belle image aussi, au II, que ce décor de gravats et de cendres, autour des corps exposés des victimes, mais est-il pertinent d’y faire se dérouler l’interrogatoire de Sesto, comme la scène finale de triomphe ?
Par ailleurs, la caractérisation psychologique insiste sur les faiblesses des personnages, mais se réduit trop souvent à des formules-choc, telles que Vitellia-collabo ou Sesto-terroriste, qui nous font passer à côté de leur noblesse et de leur complexité.
Vitellia, la fière patricienne, est certes manipulatrice, mais c’est surtout une grande amoureuse, qui ne saurait pas plus être réduite à un pâle reflet de la Sophie von Essenbeck des Damnés de Luchino Visconti (La caduta degli dei, 1969)– référence affichée, mais plus parasitante qu’éclairante – qu’à une nymphomane hystérique, sombrant dans la folie. On semble, de surcroît, ignorer ce que le librettiste Mazzola, s’appuyant sur le drame de Metastasio, y a mis de l’Émilie de Cinna et de l’Hermione d’Andromaque.
De même, montrer Tito comme un tyran plus soucieux de sa com’ que du bien public, pourri au point de vouloir acheter Sesto avec une mallette de billets, et finissant abattu d’un coup de pistolet dans le dos par Publio, c’est non seulement nier tout le message des Lumières sur la figure du monarque éclairé, mais aussi ignorer que Mozart a fait du pardon l’une des pierres angulaires de son théâtre.
Heureusement, la partie musicale réserve de grandes satisfactions. La direction de Nicolas Krüger séduit par son énergie, comme par son sens du théâtre et du détail. Au sein de l’Orchestre National des Pays de la Loire, si les cordes manquent parfois de transparence, le pupitre des vents est magnifique.
Du solide plateau se distingue nettement le Sesto ardent, et très crédible physiquement, de Julie Robard-Gendre. Son mezzo, sombre et puissant, est capable des vocalises de « Parto, ma tu ben mio », comme des phrases suspendues de « Deh, per questo istante solo ».
Grâce à un défilé de toilettes mettant en valeur sa plastique, Roberta Mameli a beaucoup d’allure en Vitellia, mais séduit moins vocalement, timbre anguleux au grave pincé et à l’aigu vite sous pression. Mais elle se tire habilement du difficile « Non più di fiori », subtilement détaillé musicalement.
Avec un instrument assez léger, mais très efficace et bien maîtrisé, Jeremy Ovenden incarne un Tito nuancé, tout en conférant l’autorité nécessaire aux longs récitatifs, et en dessinant l’humanité de son personnage, malgré la vision du metteur en scène.
On est moins convaincu par le Publio sonore, mais à l’aigu désagréablement engorgé, de Christophoros Stamboglis. Enfin, parfaitement assortis en Annio et Servilia, le mezzo clair d’Abigail Levis et l’exquis soprano léger d’Olivia Doray apportent une fraîcheur bienvenue.
Un spectacle assez contestable dramaturgiquement, mais fort plaisant à regarder et à écouter.
THIERRY GUYENNE