Deutsche Oper, 11 octobre
Après Maria Egiziaca, à Venise (voir O. M. n° 202 p. 66 de mai 2024), et Lucrezia, à Munich (voir O. M. n° 204 p. 75 de juillet-août 2024), La fiamma est le troisième opéra d’Ottorino Respighi (1879-1936) à revenir à la scène, cette année. Mais il s’agit, plus probablement, d’une pure coïncidence que d’une tendance de fond.
Pourtant, l’ouvrage, créé à Rome, en 1934 – en présence du roi Victor-Emmanuel III et de Mussolini, ce qui suffit à le rendre suspect pour certains – mérite, sans nul doute, d’être plus souvent représenté, à condition qu’on lui donne les moyens de libérer toute sa puissance lyrique. C’est le cas, au Deutsche Oper de Berlin, qui avait, déjà, assuré la première allemande, en 1936.
Bien que le livret s’inspire d’une pièce norvégienne – Anne Pedersdotter, par Hans Wiers-Jenssens –, l’opéra se déroule dans la Ravenne du VIIe siècle, alors rattachée à l’Empire romain d’Orient. L’héroïne est Silvana, jeune deuxième femme de Basilio, accusée de sorcellerie pour avoir séduit Donello, le fils du premier mariage de son époux. Si Respighi et son librettiste, le fidèle Claudio Guastalla, ont voulu célébrer, au passage, la splendeur des églises et des mosaïques byzantines de la cité de l’Adriatique, Christof Loy s’affranchit totalement de ce cadre, pour se concentrer sur l’essence du drame.
Rien d’oriental, ici : précision des mouvements, direction d’acteurs au cordeau, refus de l’anecdotique, le metteur en scène allemand donne sens à l’histoire, tant dans les scènes de foule des actes I et III – le bûcher d’Agnese et le procès de Silvana –, que dans les brûlants duos du II.
Bien qu’il travaille avec des décorateurs différents – ici, Herbert Murauer –, la griffe de Christof Loy est immédiatement reconnaissable. La fiamma apparaît, dès lors, comme l’ultime épisode d’une tétralogie, débutée, dans le même théâtre, avec trois ouvrages de la même époque, et tout aussi rares : Das Wunder der Heliane de Korngold, Francesca da Rimini de Zandonai, Der Schatzgräber de Schreker. Même façon d’organiser l’action sur plusieurs niveaux, séparés par de larges escaliers, mêmes costumes, contemporains et sombres, même ambiance délétère, qui prend le spectateur à la gorge, et même réussite théâtrale !
Olesya Golovneva s’impose comme une Silvana idéale, capable de douceur, de séduction, de mystère et de passion. La voix est parfaitement timbrée, quelle que soit l’intensité requise, l’intonation est souveraine, et la soprano russe se révèle une actrice éblouissante, dans les confrontations successives qu’elle doit affronter, au II et au III.
Belle idée que d’avoir confié Eudossia à Martina Serafin : la puissance de l’instrument lui permet de faire de l’acariâtre belle-mère bien plus qu’une virago caricaturale, ce qui enrichit la tension dramatique de la soirée. Remarquables, également, Doris Soffel, Agnese épatante de justesse, et la prometteuse Sua Jo, dans le rôle de la jeune servante Monica. Le plateau masculin n’est pas en reste, dominé par Ivan Inverardi, Basilio capable d’émouvoir avec sobriété, et Georgy Vasiliev, Donello tendre sans être fade.
À la tête d’un orchestre en bonne forme et de chœurs somptueusement préparés par Jeremy Bines, Carlo Rizzi signe une direction musicale solide et attentive. On pressent, néanmoins, dans plusieurs passages, qu’une couche de grâce supplémentaire pourrait rendre la partition plus incandescente encore.
NICOLAS BLANMONT