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Cavalleria rusticana & Pagliacci à Saint-Étienne

31/03/2025
Doris Lamprecht et Julie Robard-Gendre. © Opéra de Saint-Étienne/Cyrille Cauvet

Grand Théâtre Massenet, 13 mars 

Pour monter la double affiche Cavalleria rusticana/Pagliacci, deux pièces qui se passent en fait sur une place publique, Nicola Berloffa a eu l’idée paradoxale de les réunir sous un même « toit ». Pour Cavalleria, il a imaginé une sorte d’entrepôt où s’est réfugiée une Santuzza enceinte et ensauvagée, et dont les lourdes portes de fer s’ouvrent pour laisser entrer la lumière de midi, la procession de Pâques et les autres protagonistes dans ce qui est au fond son espace mental. Le même lieu devient, pour Pagliacci, un gymnase délabré, avec en son centre un ring où se jouera la pantomime finale, après un authentique match de boxe. Sans doute l’idée est-elle d’évoquer l’enfermement des personnages dans leurs passions morbides, la jalousie de Santuzza comme celle de Canio, et le désir ou la haine de ceux qui les entourent et, à travers les boxeurs s’entraînant pendant le chœur des Vêpres, la montée de la violence. Sa vision de la Sicile, archétypale, nous renvoie à l’univers de Verga ou, plus près de nous, de Sciascia : hommes et femmes endimanchés, tous en noir, à l’exception de la lumineuse Lola.

Dans Pagliacci, les costumes s’éclairent et se diversifient. Le décor, grâce à un jeu de lumière très élaboré, nous fait passer du climat de tragédie à celui plus néoréaliste d’un simple fait divers. L’ensemble, d’un grand raffinement, est une pleine réussite visuelle. Soutenue par une direction d’acteurs très fouillée, la mise en scène fait exister les personnages avec une rare vérité. On retiendra tout de même cette idée qui n’a rien à voir avec la situation du livret, d’un Turridu qui, à la fin de leur rencontre, gifle à grands allers-retours la pauvre Santuzza, où l’on ne peut s’empêcher de voir un inévitable signe des temps. Très investie, Julie Robard-Gendre compose une Santuzza âpre, à la limite de l’hystérie, aveuglée par son désespoir. La voix large et peu colorée aux aigus puissants donne un relief étonnant au personnage, auprès duquel la Mamma Lucia pleine de dignité de Doris Lamprecht paraît d’une terrible froideur. Dans l’air d’Alfio, le baryton Valdis Jansons paraît presque léger confronté au reste de la distribution, mais il le compense largement par une présence théâtrale remarquable, que confirment le prologue de Pagliacci et son incarnation particulièrement subtile de Tonio.

Le ténor polonais Tadeusz Szlenkier fait le trait d’union entre les deux œuvres. Voix large et puissante, aux aigus d’un métal tranchant, il ne fait qu’une bouchée de Turiddu, et ses adieux à la Mamma sont d’une extraordinaire intensité, comme son « Vesti la giubba » qui semble absorber une grande partie de ses ressources. Lui répond la Nedda d’Alexandra Marcellier, extraordinaire spinto à la tessiture d’une remarquable longueur, dont le tempérament sied particulièrement à ce mélange de coquetterie, d’insolence et d’aplomb qui caractérise le rôle. L’autre personnage essentiel des deux opéras est évidemment le chœur, remarquable d’homogénéité dans les superbes ensembles religieux de Cavalleria. Citons encore l’excellent Silvio de Matteo Loi et le Beppe de Marc Larcher. La réussite d’ensemble doit beaucoup à la direction engagée et précise de Christopher Franklin qui fait briller la beauté de l’orchestration somptueuse de Mascagni, notamment dans le prélude et l’intermezzo de Cavalleria, et capture à merveille la théâtralité de Leoncavallo dans la pantomime finale.

La soirée, commencée sous les auspices d’un hommage à Jean-Louis Pichon, à la veille de ses obsèques, par Éric Blanc de la Naulte, se termine par une reprise du chœur « Inneggiamo, il Signor non è morto » de Cavalleria. Ce dernier morceau lui est également dédié par le chef et voit s’unir les deux distributions, tandis que se déploie un calicot où apparaît le visage de l’ancien directeur qui a tant fait pour la notoriété de la scène stéphanoise.

PATRICE HENRIOT

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