Opéras Cavalleria rusticana & Pagliacci à Munich
Opéras

Cavalleria rusticana & Pagliacci à Munich

10/06/2025
Ailyn Pérez, Jonas Kaufmann et Wolfgang Koch dans Pagliacci. © Geoffroy Schied

Bayerische Staatsoper, 29 mai 

À la fin de Cavalleria rusticana, le jeune Turiddu se fait trucider par Alfio, dette d’honneur liquidée au couteau dans un village sicilien typique ? Beaucoup trop simple ! Ici, dans les années 1960, Turiddu va et vient entre son pays natal et de petits boulots en Bavière, à bord d’un ridicule tronçon de wagon sur roulettes, estampillé Palermo-München (ou inversement). Pendant l’une de ses absences, le parrain mafieux Alfio s’approprie Lola, guère consentante. Quant à l’affaire Santuzza, ce n’est qu’une passade, que Turiddu s’est accordée par dépit.

Aucun village, simplement quelques chaises, tables et lits dispersés sur un plateau rond qui descend des cintres. Pas la moindre italianité, ni processions ni église, et des chœurs plantés là à ne rien faire, sous des éclairages brutalement chromatiques. Seule la gestuelle démonstrative des protagonistes tente de maintenir le fil narratif. Négation obstinée de tout naturalisme vériste, cette stylisation n’est cependant pas trop infidèle aux données essentielles du livret, sauf qu’à la fin Turiddu préfère prendre le large, toujours en train, pour se réfugier à Munich !

On le retrouve dix ans plus tard, incognito, en Bavière, protagoniste de Pagliacci de Leoncavallo, désormais sous le pseudonyme de Canio. Un acteur très apprécié des habitués d’une trattoria où il joue des saynètes de commedia dell’arte pendant qu’on dévore des poulets et des pizzas. Quant à Nedda, réfugiée turque recueillie par Canio dans une gare, elle en pince maintenant pour Silvio, le patron du restaurant.

Ici la mise en scène fonctionne mieux, aussi parce que le livret, plus efficace, n’inclut en fait qu’une seule scène d’ambiance, celle du cortège festif des « pifferari ». Or, comme le metteur en scène Francesco Micheli ne sait toujours pas quoi faire de ce genre de séquence, il la remplace par les images d’archives d’une demi-finale de coupe du monde (Allemagne-Italie, à Mexico en 1970), que tout le monde regarde sur un écran cathodique géant !

Pour leur première nouvelle production à Munich depuis quarante-six ans, Cavalleria rusticana et Pagliacci méritaient mieux que ce projet longuement réfléchi mais, in fine, mal ficelé, a fortiori dans une maison dont le potentiel laissait prévoir une exécution musicale de haut niveau. Or celle-ci est bien là, mais amoindrie par une acoustique déficiente de scène vide, qui étouffe les voix solistes et laisse le chœur flotter, faute de décor renvoyant le son. Il est d’ailleurs frappant de constater avec quelle vigilance Daniele Rustioni met en place dans ces deux opéras un sublime paysage orchestral, qui ennoblit vraiment le propos, alors qu’il semble avoir pris son parti de constants décalages choraux, sans doute jugés inévitables.

Cette acoustique de plein air ne gêne pas la Santuzza un peu générique de Yulia Matochkina, à l’italien nébuleux, qui a le timbre de l’emploi à défaut de ses aigus percutants, et encore moins l’élégant Turiddu d’Ivan Gyngazov, voix moins typée russe qu’avant tout somptueuse : timbre solaire, homogénéité stupéfiante, endurance… On le rêverait en Canio ensuite, ce qui serait logique dans un concept scénique aussi unitaire. Mais là, il lui faut céder la place à Jonas Kaufmann, toujours aussi fascinant dans l’introspection, mais qui souffre aujourd’hui d’un timbre terni et d’une projection limitée, à moins qu’il s’agisse simplement de sa part d’un renoncement à s’égosiller en vain dans le vide. Wolfgang Koch n’a aucun problème à se faire entendre, mais manque de stabilité dans le rôle d’Alfio, et brutalise ensuite notablement le Prologue de Pagliacci. Jolie Nedda d’Ailyn Pérez, voix peu prévisible, tantôt opaque tantôt cristalline, en tout cas agréable, même si la caractérisation reste hésitante. Et enfin de brillants seconds plans, dont la brève apparition de Rosalind Plowright en Mamma Lucia, voix bien sûr ruinée mais qu’importe, le parfait Silvio de Thomas Mole et l’élégant Beppe de Granit Musliu.

Une soirée qui promettait beaucoup, mais à tel point fourvoyée scéniquement qu’on ne peut en retenir en définitive qu’une exécution orchestrale modèle et la découverte d’un ténor russe à suivre de près.

LAURENT BARTHEL

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