Opéra, 30 mai
La proposition scénique de Daniel Benoin place l’opéra de Bizet, Carmen, dans les premières semaines de la guerre civile espagnole, en juillet 1936. Ce choix confère à l’œuvre une portée politique aiguë : la tension dramatique ne repose plus seulement sur le désir et le destin, mais sur la violence du pouvoir, les mécanismes d’oppression et la lutte pour la liberté. Les divergences entre nationalistes et républicains imprime à l’ouvrage une dualité nerveuse à la fois sociale et psychologique. Les mouvements de foule, les jeux de regard et la direction d’acteurs sont pensés comme autant de relais dramaturgiques. Les chœurs – soldats, ouvrières, enfants… – incarnent avec intensité les clivages d’une société en crise. Le décor, conçu par Jean-Pierre Laporte, multiplie les signes concrets : sacs de sable, barques, tonneaux, dont l’agencement évolue au fil des actes, tandis que des vidéos un peu convenues et édulcorées (Paulo Correia) déroulent un flux d’images tantôt réalistes, tantôt allégoriques. Les costumes sobres de Nathalie Bérard-Benoin et les éclairages du metteur en scène, modulés avec soin, impriment quant à eux aux différents tableaux une profondeur temporelle progressive.
La charge émotionnelle se cristallise sur la figure de Carmen, superbement incarnée par la mezzo-soprano roumaine Ramona Zaharia. Timbre sombre, intonations rugueuses, aigus déployés avec ampleur : sa ligne vocale épouse, malgré une diction encore inégale, chaque fluctuation sentimentale de l’héroïne. Elle impose une cigarière sanguine et tragique, animée par une irrépressible volonté de vivre libre. En contrepoint, Jean-François Borras campe un Don José d’une fragilité vibrante, magnifiée par une voix claire, souple, au phrasé soigneusement articulé. Le basculement du personnage de la raison à la passion est palpable dans chacun de ses élans. Perrine Madoeuf incarne une Micaëla véhémente, à la vocalité parfois un peu trop abrupte. L’Escamillo de Jean-Fernand Setti impose en revanche une véritable autorité, avec un beau timbre grave, idéalement projeté. Les seconds rôles, finement distribués, sont tous convaincants. On retiendra en particulier les interventions charismatiques de Guilhem Worms (Zuniga) et de Charlotte Bonnet (Frasquita).
En fosse, Lionel Bringuier dirige l’Orchestre Philharmonique de Nice avec un sens affûté du relief et de la tension. Les lignes se déploient avec clarté, les impulsions rythmiques s’appuient sur une matière sonore généreuse, même si quelques décalages poignent lors des ensembles. Le chœur, bien préparé par Giulio Magnanini, manque d’un rien de mordant dans ses attaques, mais conserve une identité forte, présente, incarnée – jusqu’à l’irruption, parfaite, du chœur d’enfants. Une Carmen tendue, organique, non sans quelques fragilités, mais vigoureusement défendue.
CYRIL MAZIN
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