Prinzregententheater, 27 juillet
Pour conclure le premier Festival d’été (Münchner Opernfestspiele) de son mandat au Bayerische Staatsoper , Serge Dorny souhaitait mettre un accent particulier sur Richard Strauss, avec quatre opéras, dont une extraordinaire reprise de Die Frau ohne Schatten, dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski, créée en novembre 2013 (voir O. M. n° 91 p. 50 de janvier 2014).
Initialement promises à Valery Gergiev, ces deux représentations exceptionnelles (28 & 31 juillet) ont été heureusement récupérées par Sebastian Weigle, aujourd’hui l’un des meilleurs spécialistes de l’ouvrage : orchestre somptueux, quatuor vocal de rêve (Camilla Nylund, Nina Stemme, Eric Cutler, Michael Volle)… et une première soirée à l’issue de laquelle Nina Stemme, toujours dans une forme aussi sidérante, a obtenu le titre honorifique de « Bayerische Kammersängerin ».
Deux représentations, aussi (21 & 24 juillet), de la production récente de Der Rosenkavalier, par Barrie Kosky, dirigée par Vladimir Jurowski, dans l’excellente distribution de la première, qui s’était déroulée, l’an dernier, devant un théâtre vide (voir O. M. n° 172 p. 54 de mai 2021). Et une unique représentation (22 juillet) d’une mise en scène plus ancienne, Die schweigsame Frau, par le même Barrie Kosky (voir O. M. n° 55 p. 60 d’octobre 2010), malheureusement endeuillée par le décès brutal du chef d’orchestre Stefan Soltesz, qui s’est effondré quelques minutes avant la fin du premier acte, victime d’une crise cardiaque, devant des musiciens désemparés.
Au centre de cette riche programmation : Capriccio, le testament lyrique de Richard Strauss, créé à Munich, en 1942, mais qui avait complètement disparu du répertoire de la maison, durant les trente dernières années. Remettre ce très bel opéra en lumière était une bonne idée ; réutiliser la production de David Marton, pourtant plutôt appréciée par Jean-Marc Proust, lors de sa création à Lyon, en 2013 (voir O. M. n° 86 p. 57 de juillet-août), puis sa reprise à Bruxelles, en 2016 (voir O. M. n° 123 p. 38 de décembre), était peut-être moins judicieux.
Quintessence d’un art spécifiquement straussien de la « conversation musicale », Capriccio se veut une épure, où l’action se concentre surtout en joutes verbales de salon, et non dans ce que le théâtre peut donner à voir. Or, la production de David Marton fait tout l’inverse, éparpillée en une multitude d’anecdotes, dans un beau dispositif de salle à l’italienne vue en coupe. Le groupe d’invités de la Comtesse erre confusément un peu partout, l’action paraissant avorter perpétuellement en petites saynètes très détaillées, mais inabouties.
Et puis, là où l’ouvrage fait assaut de finesse, David Marton est parfois extrêmement lourd : à l’image de cette grotesque scène de déclamation théâtrale, où le Comte, qui s’essaie à donner la réplique à la célèbre actrice Clairon, se voit contraint de jouer tellement mal que ses pénibles ânonnements font pouffer sa partenaire de rire. Sans parler des nombreuses et agaçantes interruptions du flux musical pour glisser, çà et là, de brefs moments de théâtre mimé, contextualisations certes intéressantes, mais qui n’apportent rien de décisif.
Dernière carence, grave celle-ci, le dispositif scénique est défavorable aux voix, au point qu’on ne comprend pas la moitié du texte, seuls les chanteurs dotés de l’élocution la plus claire (ici, Olivier, Flamand et le Comte) parvenant à focaliser l’attention. Dans ces conditions, interrompre arbitrairement la soirée en plein milieu, pour trente minutes d’entracte, pratique contestable, qui ne respecte pas l’unité de l’ouvrage, est en définitive plutôt opportun, pour éviter l’assoupissement !
Distribution luxueuse sur le papier, qui souffre malheureusement de l’inadéquation de Diana Damrau, passionnante spécialiste de l’illusion straussienne au disque, mais dont le gabarit demeure, en réalité, beaucoup trop petit pour incarner la Comtesse. Tout est joli, pensé, musical, mais les moyens se dérobent tout le temps.
Les deux prétendants font jeu égal, Pavol Breslik, exalté en Flamand, et Vito Priante, plus posé en Olivier. Kristinn Sigmundsson, attachant La Roche, manque, au moins vocalement, de corps et de gras pour un personnage aussi haut en couleur, et Tanja Ariane Baumgartner, constamment handicapée par de vilains problèmes d’émission, n’est jamais une Clairon pertinente. En revanche, Michael Nagy a beaucoup d’allure en Comte, sauf quand on l’oblige à beugler caricaturalement ses vers.
En fosse, Leo Hussain remplace Lothar Koenigs au dernier moment, à la tête d’un orchestre dont l’atavisme straussien reste tellement vivace que tout s’y met en place sans le moindre faux pli.
LAURENT BARTHEL