Seebühne/Festspielhaus, 20 juillet
Oser Madama Butterfly en plein air, à Bregenz, n’est pas sans inconvénients. D’abord, l’ouvrage est trop long, ce qui nécessite des coupures pour le ramener aux deux heures sans entracte, exigées par les services de sécurité de la Scène flottante (Seebühne). Et puis, il est essentiellement dépourvu d’arrière-plans spectaculaires, son format intimiste risquant de se retrouver écrasé par le gigantisme du lieu.
Le décor sur pilotis conçu par Michael Levine, en apparence une simple feuille de papier froissé, jetée sur l’eau, tente bien de truquer les perspectives. Mais, aussi léger et aérien qu’il paraisse, ce dessin de paysage japonais, joliment calligraphié en nuances de gris et de blanc, pèse quand même plus de 300 tonnes. Et sur une scène aussi énorme, avec ses 33 m de large et ses 1 340 m2, les personnages qui la parcourent dans toutes les directions semblent forcément très petits, en comparaison.
Pinkerton s’introduit sur ce plateau en forte pente, en passant par un trou déchiré, comme s’il traversait effectivement un écran de papier. Mais ensuite, à quelques accessoires supplémentaires près, tel le surgissement d’un très long mât pour faire flotter, à l’acte I, un large drapeau américain, ou encore l’arrivée d’une embarcation qui paraît, elle aussi, confectionnée en origami, ce décor épuise vite la plupart de ses ressources, sauf quand un jeu subtil d’éclairages colorés et de projections vidéo le transforme en écran géant. Un déficit en surprises qui a peut-être déçu les attentes habituelles du public de Bregenz, toujours friand d’effets de machinerie lourde.
Andreas Homoki signe, de toute façon, une Madama Butterfly relativement convenue, imagerie japonaise renforcée (meublée ?) par la participation de nombreux figurants, masqués et vêtus de blanc crème, costumes librement inspirés des théâtres nô et kabuki. Une mise en place, dans l’ensemble, plutôt efficace, même si une bonne paire de jumelles reste indispensable, pour suivre l’action d’un peu plus près. Une sonorisation compétente permet, par ailleurs, au chant de paraître toujours provenir de l’endroit exact du décor où le chanteur se trouve réellement, ce qui, techniquement, n’a rien d’évident.
Commencée sous un ciel menaçant, puis perturbée par une légère averse, cette soirée de première prend un tour nettement plus dramatique, au début du II. Pendant « Un bel di vedremo », le vent se lève, de fortes vagues apparaissent sur le lac et l’horizon se zèbre de menaçants éclairs jaunâtres, alors que Cio-Cio-San reste intrépidement plantée au bord du décor, comme une figure de proue face aux éléments, drapée dans un drapeau américain qui flotte sur ses épaules.
Des conditions météo grandioses, vraiment en phase avec la situation, mais dont le prix à payer est immédiat, la représentation devant s’arrêter brutalement, sitôt l’air terminé. Le large auditorium, de plus de 7 000 places, est évacué en quelques minutes, avant que se déverse un véritable déluge, sur un dispositif scénique qui n’est pas pour rien conçu à l’épreuve d’à peu près tout, orages et tempêtes inclus.
Après une demi-heure de pause, le temps de s’installer au sec à l’intérieur du Festspielhaus, le spectacle peut reprendre, mais cette fois dans une version semi-scénique, les chanteurs ne pouvant jouer que sur un étroit praticable devant l’orchestre, et face à un auditoire beaucoup plus restreint, de 1 700 personnes environ. Le caractère conventionnel de la direction d’acteurs d’Andreas Homoki devient encore plus net, mais du moins peut-on apprécier plus équitablement, sans sonorisation, une distribution de bon niveau.
Avec, en particulier, Barno Ismatullaeva en Cio-Cio-San, beau format lyrique et actrice émouvante. Mais aussi Edgaras Montvidas, Pinkerton parfois un peu fragile techniquement, mais toujours d’un engagement très convaincant, l’impeccable Suzuki d’Annalisa Stroppa, le Sharpless remarquable, voire grandiose, de Brian Mulligan, et puis le soutien d’une haute qualité des Wiener Symphoniker, sous la direction d’Enrique Mazzola.
Là, contrairement à ce qui se passe d’ordinaire sur la Scène flottante, c’est la musique qui peut reprendre ses droits.
LAURENT BARTHEL