Opéras Bovary à Bruxelles
Opéras

Bovary à Bruxelles

20/04/2025
Oleg Volkov, Ana Naqe et Blandine Coulon. © Pieter Claes

Théâtre National Wallonie-Bruxelles, 13 avril

C’est non pas au Théâtre de La Monnaie qu’a été créé Bovary d’Harold Noben (commande de La Monnaie en coproduction avec le Teatro nacional de Catalunya de Barcelone), mais au Théâtre National Wallonie-Bruxelles. Il s’agit là bien sûr d’un opéra inspiré du roman de Flaubert, via une étape intermédiaire : une adaptation théâtrale signée Michael De Cock et Carme Portaceli, le premier signant cette fois le livret de l’opéra, la seconde se chargeant de la mise en scène.

L’ouvrage s’intitule Bovary mais aurait pu s’appeler Emma. Car c’est bien Madame Bovary qui est l’héroïne de cet opéra, lequel la fait intervenir sans interruption au cours des deux heures et quelques minutes que dure la partition. Tantôt Emma se souvient des épisodes qui ont marqué sa triste existence, tantôt elle les vit ; les temps s’enchevêtrent au fil des scènes, et si l’opéra suit l’intrigue du roman, en supprimant bien des péripéties, la narration n’est pas précisément linéaire, ce qui évite toute monotonie. Il faut saluer la prestation d’Ana Naqe, qui porte presque à elle seule la narration et l’action avec un timbre fruité, une vraie capacité expressive, une diction très acceptable.

Harold Noben, déjà auteur d’À l’extrême bord du monde, opéra évoquant le suicide de Stefan Zweig, a imaginé là une partition lointainement inspirée de Pelléas et Mélisande (Emma dit expressément : « Je ne suis pas heureuse »), faite d’un récitatif lyrique où les intervalles vertigineux sont rares. Globalement tonale, plus exigeante sur la durée que sur le plan technique, elle ne s’interdit pas quelques vocalises et deux ou trois escapades en pays dodécaphonique. On peut déplorer, dans pareil contexte, l’absence d’air ou de vrai moment d’effusion, à moins de considérer l’ouvrage entier comme un vaste arioso, mais il est vrai qu’un air n’existe pas sans invention mélodique. Une citation de « Regnava nel silencio » de Lucia di Lammermoor (allusion précise à un épisode du roman) fait diversion dans le déroulement de la musique.

Charles, le mari, n’est qu’un comparse auquel le compositeur a attribué une ou deux répliques et un duo au début de la seconde partie ; Oleg Volkov s’en sort avec les honneurs. Le chœur, dont les interventions peuvent rappeler parfois L’Enfant et les sortilèges, joue un rôle plus important : composé de huit voix de femmes et huit voix d’hommes, il commente l’action ou intervient directement (lors du mariage d’Emma et Charles, sous la forme du chœur des femmes adultères, etc.) et, comme les deux protagonistes, se déplace sur un trottoir roulant qui utilise toute la largeur de la scène : Carme Portaceli y fait aussi défiler des bosquets, des animaux, etc., cependant que des toiles peintes, au fond, représentent la nature dans l’esprit du XIXe siècle.

Dans la fosse, elle aussi toute en largeur, Debora Waldman dirige avec énergie et aplomb un orchestre sonore, où le piano et le violoncelle solo jouent un rôle essentiel, mais qu’Harold Noben ne traite pas avec une audace particulière.

À la toute fin intervient Berthe, la fille -d’Emma et Charles, jouée par la mezzo Blandine Coulon. On l’a vue jusque-là comme un personnage muet (avec son téléphone portable, évidemment), et la voilà qui fait le procès de son père, des amants de sa mère et du malheureux Flaubert, dont le livret dénonce la méconnaissance des désirs et des plaisirs féminins. Afin de souligner le propos, la mise en scène fait se dépoitrailler Berthe, qui se transfigure en femen, le buste semé de revendications. Pour ceux qui n’auraient pas saisi, Berthe cite un extrait du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir et dessine un cœur avec ses doigts. Et pour que le message n’échappe à personne, les huit femmes du chœur reprennent le texte de Beauvoir en levant le poing. Inutile d’insister, on a compris qu’Emma Bovary est la victime des hommes.

CHRISTIAN WASSELIN

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