Michael Spyres : Contra-Tenor
1 CD Erato 5054197293467
Le titre de cet album, gravé en studio, en septembre 2020, risque de prêter à confusion : les airs le composant n’ont jamais été destinés à des chanteurs désignés communément comme « contre-ténors » (donc utilisant le falsetto), mais bel et bien à des ténors. Ils témoignent de l’évolution de ce registre vocal, entre le XVIIe siècle finissant et les dernières années du XVIIIe.
De la haute-contre à la française à l’assoluto, le terme de ténor recouvre des réalités bien différentes. Qu’en est-il de Michael Spyres ? C’est du dernier nommé qu’il dit se rapprocher : émission généralement haute ; souffle contrôlé ; voix plutôt centrale, mais à l’ambitus impressionnant (près de trois octaves) ; registre grave généreux – il se paie le luxe d’interpréter des airs de Latilla (Siroe) et Hasse (Arminio), créés par des basses ; médium franc et clair ; timbre viril et corsé ; aigu facile – et même, à l’occasion, suraigu hardi. Des atouts déjà présents dans son précédent album chez Erato, Baritenor (voir O. M. n° 176 p. 75 d’octobre 2021).
Le ténor américain persiste et signe avec Contra-Tenor, rendant hommage, entre autres, à tous ceux dont le succès n’était pas moindre que celui des légendaires castrats, qu’ils soient français (Louis Dumesny, Joseph Legros, Pierre Jélyotte) ou italiens (Francesco Borosini, Giorgio Babbi, Giovanni Battista Pinacci, Guglielmo -d’Ettore, Angelo Maria Amorevoli…).
On l’aura compris : ce nouveau récital est encore un défi, relevé haut la main, avec un aplomb que rien ne peut faire fléchir. On entend là le résultat d’un travail approfondi, dans lequel rien n’est laissé au hasard. Dans Lully (Persée) et Rameau (Naïs), l’élocution -française est ainsi d’une clarté remarquable, et l’art de la déclamation, parfaitement maîtrisé.
Cette approche rigoureuse du style se retrouve chez les Italiens, avec un changement de cap fulgurant. Car il s’agit ici de faire face à des moments de virtuosité diaboliques, rien moins qu’évidents pour une voix aussi large (sauts de registre, vocalises impétueuses, notes piquées…), que Michael Spyres négocie avec une aisance déconcertante, en n’oubliant jamais de donner à chaque air le poids dramatique qu’il exige.
Il arrive que les notes les plus aiguës soient un peu stridentes (Germanico in Germania de Porpora, Roland de Piccinni). Mais on est toujours étonné par la vaillance et l’énergie dans les airs de colère (Artabano de Vivaldi, Catone in Utica de Vinci), comme par la beauté de la ligne musicale et la sensibilité des nuances (Orphée et Eurydice de Gluck, dont le « J’ai perdu mon Eurydice » est pris dans un tempo très lent, qui en accroît l’émotion).
Très léger bémol : l’extrait de Mitridate de Mozart (« Se di lauri »), moins convaincant, parce que très calculé. Ce qui n’est rien, si l’on pense aux instants palpitants offerts dans Siroe de Latilla ou Antigono de Mazzoni.
Sous la direction dynamique et scrupuleuse de Francesco Corti, l’ensemble Il Pomo d’Oro, dont on aime l’élégance et les sonorités scintillantes, se montre un partenaire de grande classe.
Toujours aussi bluffant, Michael Spyres est bien un ténor à nul autre pareil.
MICHEL PAROUTY