Vitrifrigo Arena, 9 août
C’est une bien curieuse vision qu’Hugo de Ana offre du Comte Ory, dans cette nouvelle production du « Rossini Opera Festival », succédant à celle de Pier Luigi Pizzi, très littérale (1984), et au subtil second degré de Lluis Pasqual (2003).
Comme s’il avait voulu dévoiler, à l’intention d’un public non francophone, ce qui n’est que suggestion dans le livret d’Eugène Scribe et Delestre-Poirson, le metteur en scène, décorateur et costumier argentin place d’emblée l’ouvrage à l’enseigne d’une sexualité débridée. Multipliant les allusions grivoises, il fait du célèbre triptyque de Jérôme Bosch, Le Jardin des délices (Madrid, musée du Prado), l’élément central de sa scénographie.
Hugo de Ana cite ainsi à comparaître Le Paradis (La Présentation d’Ève) et utilise le panneau central, L’Humanité avant le Déluge, comme toile de fond, à l’acte I. Il en extrait différents éléments (animaux et figures paradoxales), sous forme de statues – notamment le fameux « homme-arbre » de L’Enfer, image possible de la luxure –, et les dispose comme autant de clefs énigmatiques.
À ces symboles, le metteur en scène superpose une lecture farfelue, colorée, joyeuse, mais un peu vide, émaillée de gags triviaux et d’allusions burlesques à la religion, les costumes fleuris suggérant un univers agreste.
L’acte II est plus cohérent, dans un premier degré essentiellement humoristique : scène de gymnastique pour les dames de la Comtesse, beuverie et gauloiseries des (fausses) pèlerines, trio érotique enfin, où d’étranges oiseaux frémissants, venus de l’univers de Jérôme Bosch, semblent établir un parallèle entre le désir humain et la sexualité animale.
Près de vingt ans après ses débuts dans le rôle-titre, Juan Diego Florez, qui semble beaucoup s’amuser dans cette mise en scène, en reste l’un des meilleurs interprètes. Si la tessiture ne lui pose évidemment aucun problème, il se révèle particulièrement séduisant dans les aspects lyriques du II.
Savoureuse et sans complexe, Julie Fuchs convainc pleinement en Comtesse Adèle, pour ses premiers pas au Festival. La voix paraît certes un peu légère pour l’immense Vitrifrigo Arena, mais la composition n’est pas moins subtile qu’à l’Opéra-Comique, en 2017, brillante dans les coloratures et les variations, parfaitement à l’aise avec les excentricités de la production.
Remarquable de style et de projection, avec une articulation française impeccable, Maria Kataeva est un Isolier de grande classe, s’imposant aussi par son agilité scénique. Nahuel Di Pierro manque un peu de profondeur dans le grave, pour rendre totalement justice aux aspects solennels du Gouverneur, le Raimbaud d’Andrzej Filonczyk débordant de verve et de malice.
Monica Bacelli parvient à convaincre en Ragonde, malgré une certaine usure du timbre et un fort accent italien, qui compromet l’intelligibilité des récitatifs. Dans l’ensemble, cependant, le français a été très bien travaillé, y compris du côté de l’excellent chœur du Teatro Ventidio Basso.
Si Diego Matheuz, à la tête de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI, démarre un peu à la hussarde, il calme ensuite ses ardeurs et mène au succès un spectacle qui, malgré ses bizarreries, emporte l’adhésion.
ALFRED CARON