Théâtre des Champs-Élysées, 15 juin
À Paris, les représentations de La Bohème se suivent et ne se ressemblent pas. Après la vision rêvée de Claus Guth, à l’Opéra Bastille, en mai dernier (voir O. M. n° 193 p. 67 de juin 2023), la nouvelle production du Théâtre des Champs-Élysées, signée par Éric Ruf, nous ramène brutalement sur terre, pour une conception qui se cantonne dans un premier degré purement illustratif.
La seule idée, encore est-elle à peine esquissée, est celle du « théâtre dans le théâtre », mettant en valeur quelques passages par le jeu de la rampe, qui s’allume sans que l’on sache très bien pourquoi, à ce moment-là plutôt qu’à un autre. Certes, la mise en scène a quelque peu modernisé les personnages, notamment en rendant Mimi nettement moins passive, lors de sa rencontre avec Rodolfo, mais cela ne suffit pas à renouveler notre vision de l’opéra et à le faire vivre.
Éric Ruf situe l’acte I devant un rideau de théâtre que Marcello est en train de peindre, installé sur un échafaudage. Le même dispositif servira pour le IV, mais l’échafaudage aura disparu et le rideau, cette fois, sera quasiment terminé. Entre-temps, il se sera levé sur un décor construit, ni intérieur ni extérieur, dont l’encombrement réduit singulièrement l’espace scénique et hypothèque toute tentative de donner un peu de vie aux scènes de foule du II. En fait, seul le III, avec ses bâtisses couvertes d’échafaudages, perdues dans un petit jour brumeux, réussit à créer un cadre suggestif et vraiment fonctionnel.
Du côté de la distribution, on attendait, évidemment, Pene Pati en Rodolfo. Certes, le timbre brillant et l’aigu facile sont bien là, mais le ténor samoan, qui semble mal à l’aise avec le style conversationnel de Puccini, ne parvient guère à fondre musicalement les passages « parlés » avec les élans lyriques. Cela nuit singulièrement à « Che gelida manina ! », dont les attaques ne paraissent pas très sûres. On le retrouve plus en phase dans les actes suivants, notamment au IV, où il offre un très beau duo avec Marcello, sans résoudre tout à fait ce hiatus.
Selene Zanetti, peinant à contrôler un très large vibrato, ne convainc finalement que dans les grandes envolées de Mimi, à laquelle sa voix et son physique donnent, néanmoins, un côté trop mature. Le baryton généreux d’Alexandre Duhamel offre beaucoup de présence à Marcello, mais Amina Edris manque de cette sensualité un rien canaille qui fait les Musetta vraiment séduisantes.
Auprès de Francesco Salvadori, Schaunard efficace et bien campé, Guilhem Worms est un Colline de belle stature, à qui son air « Vecchia zimarra », délivré avec style et émotion, vaut des applaudissements mérités.
De bons seconds rôles – Marc Labonnette, d’abord en Benoît, puis en Alcindoro, et Rodolphe Briand en Parpignol –, des chœurs bien préparés, tant du côté adulte (Unikanti) que du côté des enfants (Maîtrise des Hauts-de-Seine), complètent un plateau qui ne convainc pleinement que dans la seconde partie du spectacle, peinant souvent, dans la première, à trouver l’équilibre entre chant et théâtre.
La direction musicale de Lorenzo Passerini, à la tête d’un excellent Orchestre National de France, paraît d’abord excessivement lente, distillant une impression de lourdeur qui ne se dissipe qu’après l’entracte. L’ensemble reçoit, au final, un accueil très chaleureux du public qui nous ferait presque douter de notre propre impression, pourtant plutôt mitigée.
Alfred Caron