2 CD Alpha Classics ALPHA 788
On avait été séduit par la création de la production, à Caen, en novembre 2019 (voir O. M. n° 157 p. 32 de janvier 2020). Alors qu’elle vient d’achever, à l’Opéra-Comique, la tournée qui a suivi, on se réjouit de voir archiver, pour sa première réapparition depuis 1705, une œuvre de toute première importance dans le répertoire espagnol des XVIIe et XVIIIe siècles – même si l’on regrette de n’avoir pas plutôt un DVD que cet enregistrement de studio, réalisé en avril 2021.
Des chanteurs un peu près des micros, une absence de mise en espace (alors que le livret joue plusieurs fois sur les effets de coulisses) n’empêchent pas l’auditeur d’être, d’emblée, emporté par cette partition étincelante, qui enchaîne sans répit les ambiances les plus contrastées, aux harmonies souvent audacieuses et à l’orchestration toujours savoureuse.
La distribution initiale est reconduite, à l’exception du Protée de Cyril Auvity, remplaçant Emiliano Gonzalez Toro : sans doute moins idiomatique, pour l’accent notamment, mais pour autant bellement lyrique, pour rendre pleine justice, au II, à sa splendide déploration sur la Thrace (« Llore de Tracia »).
Dans le rôle-titre, Ana Quintans, à la vocalise facile, mais aux graves courts, est un peu mince, toujours charmante pourtant. Le plateau, dans tous les cas, reste dominé par le Triton très corsé et puissamment expressif d’Isabelle Druet, dessinant magistralement cette figure singulière et particulièrement attachante du monstre amoureux, et atteignant des sommets d’émotion, au II, au moment de sa mort (« Ya, sacros cielos »).
Mais on s’émerveillera non moins de la prestation ébouriffante des deux « graciosos » (paysans bouffons), Sirène et Ménandre, pour lesquels Victoire Bunel et Anthea Pichanick rivalisent de verve dans les étourdissantes scènes comiques du II. Elles ravissent presque la vedette aux deux dieux rivaux, le très mordant Neptune de Caroline Meng (grandiose « Muera el Sol », au I) et le très noble Apollon de Marielou Jacquard, alors que l’Iris de Brenda Poupard bénéficie maintenant du soutien de la prise de son.
Dirigeant un Poème Harmonique toujours aussi enthousiasmant, Vincent Dumestre s’engage avec un élan irrésistible et une fougue inépuisable, un peu fort parfois, et parfois un peu rapide, pressant impitoyablement ses chanteurs (pour le finale du I, notamment, presque bousculé), mais sans jamais rien de dommageable pour ce « must » désormais incontournable de l’opéra baroque.
FRANÇOIS LEHEL