Opéras Avant Bordeaux, La Favorite à Bergame
Opéras

Avant Bordeaux, La Favorite à Bergame

13/12/2022
© Gianfranco Rota

Teatro Donizetti, 18 novembre

Deux thématiques dominent la nouvelle production de La Favorite, mise en scène par Valentina Carrasco et donnée en ouverture du 8e Festival « Donizetti Opera » de Bergame : l’exploitation des femmes, et la culpabilité que la religion fait peser sur elles.

Le propos est posé dès l’Ouverture, où apparaissent, sur des lits voilés, des femmes de tous âges, sélectionnées dans la population locale, représentant les favorites qui ont précédé l’héroïne de l’opéra et qui, abandonnées, préfigurent son futur destin à une Léonor désespérée. Elles réapparaîtront, au deuxième acte, dans une parodie de ballet romantique, au propos nettement féministe, qui se termine sur le quasi-viol d’Alphonse XI et constitue un des moments les plus audacieux – et les plus réjouissants – de cette production.

Le spectacle s’achève, après un mariage « infâme », consommé à l’abri d’un baldaquin surmonté d’une croix, sur la mort de Léonor aux portes du couvent, veillée par une Vierge baroque couronnée – celle-là même que portait, vivante, une procession parodique devant le théâtre, accompagnée par un ensemble de cornemuses (zampogne), jouant l’air de Fernand « Ange si pur ».

Valentina Carrasco n’a pas vraiment choisi d’époque précise. Mais, à travers le personnage d’Alphonse XI, habillé en « lion » romantique, tandis que les femmes appartiennent à la nôtre, on comprend non seulement que c’est l’idéologie, à l’arrière-plan du livret, qu’elle veut dénoncer, mais aussi qu’elle la considère encore d’actualité. Utilisant les lits du premier acte dans différents empilements, le décor, essentiellement constitué de grilles, évoque la clôture du monastère et celle du gynécée (du harem ?). Il se modifie au fil des tableaux, grâce aux éclairages suggestifs de Peter van Praet.

La vision converge toujours vers les deux idées dramaturgiques essentielles et n’en démord pas, quitte à sacrifier le romantisme du livret et à charger singulièrement la figure d’Alphonse XI. Sans doute, faut-il comprendre ainsi la composition assez caricaturale qu’en fait Florian Sempey, gesticulant, dès son entrée, pour camper un personnage brutal et imbu de lui-même, ce qu’une certaine âpreté du timbre ne fait que renforcer. Le baryton français, toutefois, s’impose grâce à une superbe ligne de chant dans sa célèbre cavatine « Léonor ! Viens… ».

Très investie, Annalisa Stroppa compose une Léonor pathétique à souhait. La voix de la mezzo italienne possède une belle extension, dans l’aigu comme dans le grave, mais sa performance est gâtée par une articulation à peu près incompréhensible.

Il en va de même, quoique de façon moins systématique, pour le Balthazar du Russe Evgeny Stavinsky, dont la splendide basse noble reste souvent dans les limbes d’un français largement perfectible. Cette impression générale est, peut-être, à imputer à un équilibre difficile entre le plateau et la fosse, où l’orchestre semble parfois absorber les voix des chanteurs, qui peinent à s’imposer dans le grand volume du Teatro Donizetti.

Seul Javier Camarena, aidé par les harmoniques de son beau timbre, semble chanter en français, ce qui, ajouté à un phrasé exemplaire, des nuances et un registre aigu d’une vaillance sans faille, vaut au ténor mexicain les applaudissements les plus nourris de la soirée. Edoardo Milletti offre à Don Gaspar une voix bien projetée, mais Caterina Di Tonno paraît un peu frêle en Inès.

Riccardo Frizza, à la tête de l’excellent orchestre Donizetti Opera, donne beaucoup de relief à la riche instrumentation de Donizetti. Le chef italien porte cette version originale et intégrale de la partition, d’après l’édition critique de Rebecca Harris-Warrick, à un succès qui englobe la totalité des chanteurs et la mise en scène.

Coproduit par l’Opéra National de Bordeaux, le spectacle y sera repris, du 4 au 14 mars 2023, avec une distribution presque entièrement renouvelée et, surtout, majoritairement francophone, ce qui devrait en renforcer l’impact et l’intérêt.

ALFRED CARON


© Gianfranco Rota

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