Teatro La Fenice, 24 mai
Attila entretient un lien privilégié avec Venise : non seulement il y fut créé en 1846 au Teatro La Fenice, mais il évoque également l’arrivée des réfugiés d’Aquilée sur l’île de Rio Alto, événement légendaire associé à la fondation de la Serenissima. Bien que les recherches archéologiques récentes aient remis en cause cette origine, l’association entre la cité lagunaire et cet opéra de jeunesse de Verdi demeure forte.
Dans la mise en scène de Leo Muscato, Attila est envisagé comme une œuvre sur le déclin : celui d’un empire, d’une civilisation et de ses idéaux. Le décor montre un sol aride et fissuré, parsemé des troncs d’arbres desséchés, éclairés par des lumières changeantes. Cette scénographie évoque à la fois la forêt où se déroule l’action et les pilotis servant de fondations à Venise. Cependant, il ne s’agit pas ici de narrer la fondation de la ville, mais plutôt d’exprimer le désir et le besoin de renaissance après la destruction d’Aquilée, en flammes pendant le prologue. La mise en scène insiste davantage sur l’effondrement de l’Empire romain que sur la construction d’un monde nouveau, instaurant une atmosphère de ruine et de désolation. Dans cette vision pessimiste, Attila n’est pas une célébration des origines de Venise mais un drame sombre, empreint de trahisons et de corruption ; il n’y a ni héros ni fondateurs, seulement des réfugiés et des survivants. Cette approche offre des perspectives intéressantes, mais aurait gagné à une direction d’acteurs plus aboutie.
Sur le plan musical, Attila est emblématique de la première période créative de Verdi et requiert une approche interprétative particulière : lors des reprises des cabalettes, bien que des variations élaborées ne soient pas exigées, il est nécessaire d’apporter des microvariations à la ligne mélodique et aux accents. Une certaine flexibilité rythmique et dynamique est également bienvenue. Le chef d’orchestre Sebastiano Rolli démontre une excellente maîtrise de ces conventions stylistiques, qu’il applique en alliant originalité et rigueur. Il ralentit parfois les tempi, tout en maintenant généralement un rythme soutenu et, par moments, agréablement énergique, surtout dans les morceaux d’ensemble, sans pourtant négliger les contrastes expressifs. Bref, une direction proche de l’idéal, aussi bien sur le plan philologique qu’interprétatif.
Si les formes musicales peuvent paraître prévisibles, la partition révèle une volonté indéniable d’innovation sur le plan dramatique. Les personnages ne sont pas de simples stéréotypes, mais des individus dotés d’une psychologie complexe. Il est donc crucial de disposer d’interprètes capables de mettre en valeur ces nuances. À cet égard, l’Attila tourmenté et crépusculaire de Michele Pertusi est exemplaire : son émission ronde et toujours maîtrisée et son phrasé subtil donnent vie à un chef las et affaibli. Anastasia Bartoli possède une voix percutante et un tempérament ardent, ce qui la conduit parfois à forcer, au détriment des pianissimi et des agilités ; son registre aigu présente également une certaine dureté. Malgré ces défauts, son phrasé est soigné et sa présence scénique assurée, faisant d’elle une Odabella fière et pugnace. Vladimir Stoyanov affiche ses qualités habituelles : timbre agréable, ligne de chant contrôlée, interprétation sensible et mesurée ; quoique sa voix se resserre et perde un peu de sa couleur dans la tierce aiguë, il met bien en relief l’ambiguïté d’Ezio. Le Foresto d’Antonio Poli possède un timbre lumineux, mais est en difficulté dans les passages les plus tendus ; de surcroît, son accent manque de mordant. Andrea Schifaudo (Uldino) et Francesco Milanese (Leone) sont fonctionnels ; remarquable, comme toujours, le chœur maison.
Paolo di Felice
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