Grand Théâtre Massenet, 12 mars
L’Opéra de Saint-Étienne se montre toujours hardi dans la redécouverte d’œuvres oubliées, comme Dante de Benjamin Godard, en 2019, ou Lancelot de Victorin Joncières, en 2022. Prévue pour 2021, mais reportée pour cause de pandémie, cette nouvelle production d’Andromaque d’André-Ernest-Modeste Grétry (Paris, 1780) voit enfin le jour, avec, en amont, la préparation et l’appui du Palazzetto Bru Zane, et, en aval, l’attention des professeurs et du public scolaire. Occasion, en retour, de faire connaître à celui-ci la pièce éponyme de Jean Racine ?
La résurrection de cette « tragédie lyrique » remonte à l’automne 2009 (voir O. M. n° 46 p. 70 de décembre), déjà sous les auspices du Palazzetto Bru Zane, ainsi que du Centre de Musique Baroque de Versailles, avec des concerts au Théâtre des Champs-Élysées et au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Un enregistrement de studio, réalisé en parallèle, a été publié sous étiquette Glossa et couronné d’un Diamant d’Opéra Magazine (voir O. M. n° 51 p. 77 de mai 2010). Puis est venue la recréation scénique, coproduction entre les Festivals de Schwetzingen et Montpellier, dans une mise en scène de Georges Lavaudant (voir O. M. n° 52 p. 48 de juin 2010).
La vénérable Édition Nationale Française : Le Chant Classique, sous la direction de F. A. Gevaert (Paris, Henry-Lemoine), grâce à laquelle on apprenait à chanter, ne comporte pas moins de vingt références à Grétry (de L’Amant jaloux à Zémire et Azor, en passant par Richard Cœur de Lion), sans mentionner Andromaque. C’est, sans doute, parce qu’aucun air ne peut être séparé de cette partition concise, à la progression continue, où les solistes et les choristes accomplissent, dans l’urgence, un drame infiniment plus moderne que les tragédies de Gluck. Quel succès pour les temps actuels : trois salles combles, et Racine !
Dans cet esprit, ont œuvré les équipes de l’Opéra de Saint-Étienne, grâce à la belle mise en scène de Matthieu Cruciani. Homme de théâtre familier de la tragédie racinienne, il règle au plus près les mouvements du chœur et des héros, servis par les somptueux costumes intemporels, signés par Marie La Rocca, et le sobre décor de Nicolas Marie, résumé à deux bancs et un bassin où coulent les larmes, le tout sur un fond noir.
L’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire joue sur instruments modernes, et au diapason moderne. Qui s’en plaindra ? Dirigé avec ardeur par Giulio Prandi, il délivre l’éloquence de timbales vigoureuses, de cordes passionnées, de trompettes impérieuses, en ménageant la douceur de la petite harmonie pour les moments élégiaques.
Préparé par Laurent Touche, le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire s’implique dans l’action, au lieu de simplement la commenter. Et trois de ses membres (les sopranos Elsa Vacquin et Amélie Grillon, le baryton Bardassar Ohanian) assument de vrais rôles.
La distribution brille par la netteté de sa diction et son engagement dramatique. Ambroisine Bré est une émouvante Andromaque, dont la voix ductile et la musicalité idéalisent la veuve d’Hector et la mère d’Astyanax. Des vers entiers de Racine étant repris par Louis-Guillaume Pitra, le librettiste de Grétry, on rêve d’une telle interprète sur la scène de la Comédie-Française. Entre les deux mezzos, le contraste est parfait, car Marion Lebègue a la puissance et la passion d’Hermione.
Pour « se livrer en aveugle au destin qui [l’] entraîne », après calculs et revirements, Oreste a la belle voix de baryton de Yoann Dubruque, apte à assumer l’ambitus du rôle, aux graves exigeants, à l’aigu vengeur. Non sans vaillance, Sébastien Guèze, déjà présent en 2009, affronte la tessiture de Pyrrhus. Très exposé, dès son air du premier acte (« Je m’applaudis de ma victoire »), le ténor français ne néglige pas les ressources paroxystiques.
Aux saluts, triomphe pour tous.
PATRICE HENRIOT