Opéras Amour à mort à Nancy
Opéras

Amour à mort à Nancy

07/02/2025
© Francois de Maleissye/Cappella Mediterranera

Opéra National de Lorraine, 11 janvier 

Créé à la Cité bleue de Genève en mai dernier, Amour à mort est un montage original qui prend pour base Il combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi, pour tisser une plus vaste narration déclinant le couple Eros/Thanatos autour de la Jérusalem délivrée du Tasse. Réunissant quatre comédiens, cinq chanteurs et quelques musiciens de la Cappella Mediterranea, ce spectacle est la troisième collaboration entre Leonardo García Alarcón et Jean-Yves Ruf, après le succès d’Elena de Cavalli et de La finta pazza de Sacrati.

Le madrigal de Monteverdi, décrivant l’amour-passion entre le paladin chrétien et la belle Sarrasine guerrière – qui ne peut se résoudre que par la mort de l’héroïne après un terrible combat, non sans qu’elle ait demandé à son vainqueur de la baptiser à l’article de la mort – constitue bien l’épine dorsale du projet. Mais s’y agrègent bien d’autres musiques : des Monteverdi, profanes ou religieux, des madrigaux de contemporains (Francesco Neri, Luca Marenzio, Sigismondo d’India), mais aussi du Guillaume Dufay, et même du Jean-Sébastien Bach ! Pour les textes aussi, chantés ou dits, on convoque, certes, essentiellement le Tasse, mais également d’autres poètes, tels Pétrarque ou Ronsard… sans oublier un intermède sur la vanité de la guerre dû au metteur en scène. 

Outre Tancrède et Clorinde, incarnés physiquement par deux comédiens – mais auxquels deux chanteurs prêtent leur voix pour le madrigal –, on croise également Godefroy et Herminie, autres personnages du poème épique. Visuellement, le dispositif scénique (des tentures au fond, quelques tables ou chaises déplacées çà et là) et les costumes (Battle dress et chemises couleur sable pour tous) sont d’un minimalisme extrême. On pourra certes trouver maladroit que le texte chanté soit parfois immédiatement suivi de sa traduction déclamée : redondance inutile, surtout quand la diction des comédiens, fort inégale, laisse perdre une part des paroles prononcées sur fond musical, à la façon d’un mélodrame.

Mais ce qui est indéniable, c’est le bel esprit de troupe qui anime ce patchwork étonnant, voire détonnant, et l’énergie irrésistible qui s’en dégage. Notamment dans des scènes collectives mêlant joyeusement comédiens, chanteurs et instrumentistes, ces derniers n’hésitant pas à chanter – Alarcón le premier ! – ou à danser, comme le fait si bien le violoniste Yves Ytier, déjà admiré pour cela dans l’Orfeo de Monteverdi ou la Passion selon Saint Jean montés par le chef argentin. Ce dernier, maître d’œuvre passionné et charismatique, emmène tout son monde avec flamme, stimulant l’inventivité de chacun.

Des cinq chanteurs, on remarque particulièrement le ténor percutant de Valerio Contaldo, Testo très éloquent. La basse sonore d’Andreas Wolf impressionne toujours par sa chaleur et sa beauté de timbre, même si son Tancrède, qui sollicite beaucoup l’aigu, montre parfois un peu de raideur. À l’inverse, Mariana Flores émerveille par sa variété d’accent, caressante dans l’attaque de « Si dolce è il tormento » – rapidement développé en madrigal – et particulièrement émouvante dans les dernières paroles de Clorinde « S’apre il ciel ; io vado in pace ». Plus en retrait semblent Sofie Garcia, pourtant solide seconde soprano, ainsi que le contre-ténor Logan Lopez Gonzalez, fin musicien mais à la projection parfois modeste. Pour les comédiens, Thierry Gibault campe avec assurance un Godefroy assez urbain, tandis que Margaux Le Mignan est une émouvante Herminie, dont l’amour parvient à arracher Tancrède de sa torpeur suicidaire. 

Si Hugues Duchêne paraît bien timide pour un guerrier invincible, Isabel Aimé Gonzalez Sola incarne une fière et belle Clorinde. Mais c’est surtout lorsque ces deux comédiens sont manipulés comme des marionnettes (hommage manifeste au bunraku) par leurs homologues chanteurs – pour les scènes de combat, puis de mort – que le spectacle prend toute sa dimension poétique.

THIERRY GUYENNE

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