Opéras Al Capone à Paris
Opéras

Al Capone à Paris

03/03/2023
© Laura Gill

Folies Bergère, 10 février

La vie crapuleuse et la fin misérable d’Al Capone (1899-1947) ont inspiré Hollywood à plusieurs reprises, avec notamment Rod Steiger et Robert De Niro dans le rôle du gangster de Chicago. Quant à l’agent Eliot Ness, c’est Robert Stack qui l’a rendu populaire dans une série télévisée à succès, The Untouchables (Les Incorruptibles).

Les malfrats ont rencontré le « musical » avec Marilyn Monroe, Tony Curtis et Jack Lemmon, héros du film Some Like It Hot (Certains l’aiment chaud, Billy Wilder, 1959). Chicago a été un triomphe international, d’abord à Broadway (1975), puis au cinéma (Rob Marshall, 2002). C’est là que le guitariste et compositeur français Jean-Félix Lalanne (né en 1962) a visiblement puisé son inspiration, pour écrire la musique et le livret de ce nouvel Al Capone.

Du point de vue du « politiquement correct », était-il judicieux de ressusciter celui qui ne fut qu’un trafiquant d’alcool et un tueur ? C’est pousser le bouchon un peu loin que de faire chanter à Roberto Alagna que Capone fut, aussi, un justicier. Ce n’était ni un redresseur de torts, ni un Robin des Bois ! Quoi qu’il en soit, sa vie n’eut rien de romanesque, même si elle marqua l’ascension criminelle d’un petit cireur de chaussures, ce que le livret se garde de mentionner.

Jean-Félix Lalanne en est conscient, puisqu’il a greffé une part de fiction sur le déroulement des faits. Se rappelant Carmen, il oppose la femme fatale – Lili, la maîtresse d’Al Capone, qui dirige un cabaret, doublé d’une maison de rendez-vous – à l’ingénue – sa sœur, Rita, arrivée de New York en toute innocence, et vite amoureuse d’Eliot Ness.

Si les paroles des chansons ne se hasardent pas hors des sentiers battus, la partition est adroite : une atmosphère jazzy évoque les « Années folles », avec ce qu’il faut de charleston, de boogie-woogie et de piano mécanique. La mise en scène de Jean-Louis Grinda est efficace, offrant de courtes séquences, à la manière d’un montage cinématographique.

Solos, duos et ensembles se succèdent. Roberto Alagna, pour qui le rôle-titre a été écrit sur mesure, s’en empare avec gourmandise. La voix du ténor sonne ample et claire, se faisant vindicative, quand Capone menace Ness. Pour lui, l’amplification ne semble pas nécessaire, contrairement à ses partenaires.

La belle Anggun prête sa plastique de rêve à Lili, dans la lignée des sirènes « exotiques » chères à Hollywood, d’Anna May Wong à Dorothy Lamour. Eliot Ness a les accents de crooner de Bruno Pelletier (en alternance avec Bastien Jacquemart), tandis que la jeune Kaïna Blada est une touchante Rita, et Thomas Boissy, un jaloux Franck.

Habituel complice de Michel Fau, David Belugou se déchaîne en dessinant soixante costumes d’époque, avec fourreaux et déshabillés aguichants pour les dames, les messieurs arborant borsalinos, costumes à rayures et chaussures bicolores. Au-dessus du repaire de Capone et du bureau de Ness, le décor d’Éric Chevalier montre une ligne de gratte-ciel qui s’efface pour révéler l’orchestre, perché en hauteur et dirigé par Philippe Gouadin.

Les six danseurs et les six danseuses, qui chantent également, sont épatants, dans des chorégraphies virevoltantes de Caroline Roëlands. Aux lumières, Laurent Castaingt darde, sur la scène et la salle, des projecteurs qui évoquent, à la fois, descentes de police et premières hollywoodiennes.

L’auteur et le metteur en scène esquivent la fin du véritable Al Capone qui, arrêté pour fraude fiscale, croupit en prison, notamment à Sing Sing, pendant les dernières années de sa vie. Ici, surprise, la fin est heureuse : Capone et Ness, les « meilleurs ennemis », se serrent la main… Autour, la troupe danse avec entrain. Le crime paierait-il ?

BRUNO VILLIEN


© Laura Gill

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