Opéra Bastille, 24 septembre
En 2017, Salzbourg faisait le pari aventureux de confier sa nouvelle Aida à une vidéaste iranienne sans expérience de la scène, et avouant elle-même peu connaître la musique occidentale, et rien de l’opéra de Verdi (voir O. M. n° 132 p. 63 d’octobre et O. M. n° 186 p. 62 d’octobre 2022). Alors qu’on espérait ne plus revoir cette production très discutable et déjà deux fois discutée, elle fait un retour inattendu sur la scène de Bastille pour succéder à l’éphémère et calamiteuse proposition de Lotte de Beer (O. M. n° 171 p. 42 d’avril 2021), avec très peu de modifications, et sans non plus modifier notre opinion : concept inconsistant pour ce placage de la situation iranienne d’aujourd’hui sur l’œuvre verdienne, absence de direction d’acteurs, traitement d’un autre âge du chœur, condamné aux défilés millimétrés et aux alignements statiques, alternant avec un kitsch parfois invraisemblable (la toilette d’Amneris, au début du II, par exemple), entraînant dans sa chute le talent de Christian Schmidt, qui encombre la scène avec des blocs massifs et d’un matériau ingrat.
Très dommage pour une prestation musicale du plus haut niveau. La très versatile Saioa Hernández surprend et séduit par la discipline exemplaire d’un chant lisse et policé, admirablement phrasé et tirant non sans raisons du côté du bel canto, le jeu très sobre mais très juste de l’actrice atteignant souvent à l’émotion. Du coup, un peu moins acclamée, injustement, que l’Amneris incandescente d’Eve-Maud Hubeaux (déjà à Salzbourg en 2022) qui lui oppose sa haute et très élégante silhouette et un jeu intense palliant largement les déficiences de la mise en scène. Lui aussi présent en 2022, Piotr Beczała souffre comme beaucoup d’un « Celeste Aida » pris à froid, avec des aigus tirés qui ne rassurent pas, mais la suite se déploie magnifiquement, faisant vite oublier un jeu toujours un peu raide et convenu. Roman Burdenko se réserve pour les ardentes admonestations du III, tandis que le Roi de haute stature et bien chantant de Krzysztof Bączyk et la basse profonde mais un peu grasseyante du Ramfis d’Alexander Köpeczi tiennent honorablement leur rang. Et l’on retiendra aussi la très pure Sacerdotessa de la jeune Margarita Polonskaya, entrée la saison dernière dans la Troupe lyrique de l’ONP. Avec un chœur superlatif mené par Ching-Lien Wu et un orchestre à son zénith, Michele Mariotti, mieux encore qu’en 2021, assure avec une sensibilité frémissante la parfaite mise en place de l’ensemble.
FRANÇOIS LEHEL
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