Éditorial Plaidoyer pour l’opérette
Éditorial

Plaidoyer pour l’opérette

27/11/2023
Les Mousquetaires au couvent à l'Opéra-Comique (2015). © Pierre Grobois

Quand on est membre d’un jury de concours de chant, il est toujours intéressant de rencontrer les candidats, à l’issue de la finale. Surtout, quand on les interroge sur les raisons ayant présidé au choix de leur programme, leurs réponses s’avèrent riches d’enseignements. Ainsi de ces nombreuses mezzo-sopranos françaises qui se lancent dans le redoutable air de Léonor, dans La Favorite : « Ô mon Fernand ». Ou plutôt « O mio Fernando », puisque neuf sur dix le chantent dans sa médiocre traduction italienne, jamais cautionnée par Donizetti. Quand on leur demande pourquoi, certaines réponses laissent pantois.

La plupart, déjà, ne savent pas que ce « grand opéra » en quatre actes, créé à l’Opéra de Paris (Salle Le Peletier), en 1840, est un ouvrage français, et pas italien, comme la nationalité de son auteur pourrait le laisser croire, et, partant, qu’il serait plus judicieux, surtout pour une francophone, d’opter pour l’original. Cette ignorance me conduit, régulièrement, à m’interroger sur la formation en histoire de l’opéra reçue dans les conservatoires, académies… ou auprès des professeurs privés.

Vient ensuite (pas toujours, heureusement) la question qui tue : « Mais si je chante cet air en français, est-ce que le jury ne va pas m’en vouloir ? » D’abord, c’est faire peu de cas de la culture musicale des jurés… Ensuite, c’est dresser le triste constat que les préjugés ont la vie dure, en l’occurrence ceux visant le répertoire français du milieu du XIXe siècle, en particulier celui du « grand opéra », méprisé par une bonne partie des critiques, historiens, directeurs de théâtre… depuis des décennies.

Cette question du mépris resurgit régulièrement dans les échanges d’après-finale. J’en veux pour preuve ces jolis ténors légers français qui s’embarquent, sans en avoir les moyens, dans Werther ou Hoffmann. Quand on leur suggère de choisir plutôt l’air de Pomponnet dans La Fille de Madame Angot Elle est tellement ­innocente ») ou celui du Prince Paul dans La Grande-Duchesse de Gérolstein (la « Chronique de la Gazette de Hollande »), la réponse fuse : « Vous êtes sûr que l’opérette est une bonne idée ? On risque de mal me juger… » (sous-entendu : l’opérette, c’est un genre de second rayon, passé de mode, bon pour les vieux…).


Scène de La Fille de Madama Angot. © Palazzetto Bru Zane

Combien de fois ai-je entendu cela et, malheureusement, pas seulement de la bouche de candidats ? Des artistes français de renom, faisant au besoin une carrière internationale, hésitent encore à se produire dans Lecocq ou Messager. Et pourtant, que de merveilles chez ces compositeurs, aussi doués, dans leur domaine, qu’un Gounod ou un Saint-Saëns ! Offenbach est le seul à échapper à cette défiance, depuis que des Régine Crespin, Felicity Lott, Jessye Norman ou Teresa Berganza n’ont pas hésité à se commettre dans ce genre prétendument mineur.

C’est d’autant plus dommage que, pour en revenir aux concours, le répertoire d’opérette français (dans lequel j’inclus la plus grande partie des « opéras-comiques » et les « opéras-bouffes ») est bourré d’airs mettant admirablement en valeur les jeunes voix. Je pense à un baryton lyrique, entendu récemment. Choisir l’air d’Escamillo dans Carmen (« Votre toast, je peux vous le rendre ») était, à 22 ans, une folie. Il a gagné quand même, car ses moyens sont extrêmement prometteurs. Mais j’aurais tellement préféré l’entendre dans l’air de Brissac des Mousquetaires au couvent (« Pour faire un brave mousquetaire »), ou dans celui de Monsieur Beaucaire (« Ô rose, merveilleux butin »), que tous les apprentis barytons travaillaient, jadis, avec leurs professeurs.

Qui connaît encore ces ouvrages, me direz-vous ? Plus grand-monde, c’est vrai. Et c’est là que le bât blesse. Dans la période ­anxiogène que nous vivons, les gens ont envie de se divertir. L’opérette est faite pour ça, rien que pour ça. Pourquoi ne pas en monter davantage ? À la condition, bien sûr, d’en respecter les spécificités, sans transposition arbitraire de l’intrigue dans le temps, et d’y mettre les moyens. La « grande » opérette a besoin de chanteurs d’envergure, excellents comédiens et « diseurs », de surcroît. Ainsi que d’un orchestre et de chœurs relativement fournis, d’un chef brillant, d’un metteur en scène inventif, de décors et costumes à la fois luxueux et de bon goût.

C’est énormément demander, m’objectera-t-on, pour ce que beaucoup considèrent comme des « œuvrettes ». Personnellement, je pense que le jeu en vaut la chandelle et que le public répondra présent, pour peu que l’on choisisse bien le titre (certains, musicalement délicieux, sont problématiques à monter aujourd’hui, en raison de leur livret) et que l’affiche soit glamour ! 

RICHARD MARTET

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