Éditorial Callas, le contre-modèle ?
Éditorial

Callas, le contre-modèle ?

30/10/2023
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Qu’aurait pensé Maria Callas, dont on célèbrera, le 2 décembre, le 100e anniversaire de la naissance, des jeunes chanteurs actuels ? La question m’a traversé l’esprit, en songeant aux légendaires master classes offertes par la diva, à la Juilliard School de New York, en 1971-1972, incluses par EMI/Warner Classics dans son beau coffret hommage, paru il y a quelques semaines.

Pour faire (ou avoir fait partie) d’une dizaine de jurys de concours à travers le monde, je suis frappé par une constante : le pourcentage élevé d’erreurs commises par les candidats, dans la composition de leur programme. Des sopranos proposent à la fois Susanna (Le nozze di Figaro) et Tosca, des mezzos, Dorabella (Cosi fan tutte) et Dalila (Samson et Dalila), des ténors, Nadir (Les Pêcheurs de perles) et Dick Johnson/Ramerrez (La fanciulla del West). Sans parler des barytons qui optent pour des rôles de basse, et vice versa !

Encore plus fréquent, le nombre de chanteurs qui, quand bien même un air serait dans leurs cordes, ne réalisent pas qu’il ne les met pas en valeur. Soit parce qu’il ne correspond pas à leur tempérament ; soit parce que ce n’est pas un bon morceau de concours. J’aime bien la Cendrillon de Massenet, par exemple, mais ni l’« Enfin, je suis ici » de l’héroïne, ni le « Cœur sans amour » du Prince Charmant, que l’on entend de plus en plus régulièrement, ne sont payants.

Le sublime air de Louise (« Depuis le jour ») est, pardonnez-moi l’expression, un dangereux « casse-gueule »  – je me souviens de la regrettée Andréa Guiot, dans le jury du Concours d’Arles, criant à la folie, quand elle le voyait dans la liste ! –, et ceux de la Reine de la Nuit (« O zittre nicht » et « Der Hölle Rache ») conduisent droit à l’élimination, au moindre dérapage dans la justesse des vocalises. Est-ce la faute des professeurs de chant, qui orienteraient mal leurs élèves, comme je l’entends souvent dire ? Pour avoir mené l’enquête, je sais que ce n’est pas toujours le cas. Beaucoup de candidats composent leur programme sans tenir compte de leur avis, voire sans même leur en parler !

Quand ils viennent vous voir à la fin du concours, évidemment déçus, que leur dire ? Certains donnent l’impression de vous écouter, d’autres sont clairement convaincus qu’ils ont raison. Parce que Maria Callas, à 25 ans, alternait avec succès Elvira (I puritani) et Brünnhilde (Die Walküre) ? Peut-être, mais raisonner de cette manière revient à oublier que chaque voix a ses spécificités et que des Maria Callas, il n’y en a pas eu beaucoup dans l’histoire de l’opéra ! Est-il utile de dresser à nouveau la liste des « nouvelles Callas », qui se brûlèrent prématurément les ailes à vouloir l’imiter, Elena Souliotis en tête ? 

Autre motif de stupeur : le nombre de candidats qui, après s’être effondrés dans un air de leur programme, vous expliquent qu’ils ont commencé à l’apprendre deux semaines plus tôt. Certes, Placido Domingo, dès ses 20 ans, « avalait » un rôle entier en trois jours. Mais, là encore, l’histoire n’a pas connu beaucoup de Placido Domingo ! Et le prendre pour exemple n’est pas ce que je conseillerais à un débutant.

Se produire devant un public, avec tous les aléas que cela implique, réclame énormément de confiance en soi. Encore faut-il savoir raison garder, en prenant la juste mesure des risques, en audition comme en représentation. Le don et la chance ont leur rôle à jouer, mais ne suffisent pas toujours.

Une chose est certaine : il est plus difficile de faire carrière aujourd’hui qu’au temps de Maria Callas. Tout simplement parce qu’il y a moins de théâtres en activité, moins d’opéras affichés, chaque saison, et donc moins de travail. La concurrence est plus rude, et de nombreux jeunes, qui auraient autrefois intégré, sans problème, une troupe stable ou itinérante en tant que solistes, finissent choristes ou doivent choisir une autre orientation professionnelle. Sans tomber dans le passéisme, il est permis de le regretter.

RICHARD MARTET

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