Avec cette introduction au répertoire lyrique, le Théâtre La Boussole cible le jeune public, mais les adultes ne regretteront pas d’avoir accompagné les enfants. Le résultat est inventif et visuellement épatant.
C’est un spectacle qui permet un fantasme de petite souris : surprendre une artiste dans sa loge au moment où elle s’apprête à entrer sur scène… Dans la vraie vie, la principale intéressée ne serait peut-être pas aussi enchantée que la flûte à l’idée que l’on vienne troubler sa concentration, mais la cantatrice Aria Di Tralala – campée par la soprano et comédienne Marie Anaf – est d’une heureuse nature et de bonne composition. « Quand je travaille, dit-elle, je n’en ai pas l’impression ! » De cette chance qui n’est pas donnée à tout le monde, l’artiste jouit avec beaucoup d’entrain, et elle se félicite de partager avec son public de jeunes intrus, un art qui fait son bonheur quotidien.
Pour cela, il faut commencer par décomplexer l’auditoire. « L’opéra, c’est pour tout le monde, et surtout pour vous », lance-t-elle à des spectateurs dont certains vivent probablement leur première confrontation avec une voix lyrique. Ensuite, il s’agit de les mettre en condition, car la soliste entend bien solliciter la salle pour accompagner ses envolées. On lève les bras au ciel, on se relâche comme une poupée molle, on se détend la mâchoire… tout le monde est prêt, l’initiation peut commencer. Une heure durant, Aria va incarner un carnaval de personnages par la seule grâce d’habiles changements de costumes et explorer le répertoire en quatre actes thématiques. Les duos, les figures fortes, les grandes passions – « à l’opéra, elles se vivent puissance mille ! » – et, parité oblige, les morceaux qui ont apporté leur heure de gloire… aux messieurs.
Un « Mask Singer » haut de gamme
Lorsqu’elle ouvre le bal coiffée d’un chapeau-bouquet avec le duo « des fleurs » (Lakmé de Delibes), sa robe blanche s’anime d’un tourbillon de pétales projetés en vidéo. Premiers « waaoouh !!! » Mais la voilà déjà couverte d’un plumage de perroquet pour convoquer les incontournables Papageno et Papagena, puis dissimulant son visage derrière un loup vénitien pour interpréter la « Barcarolle » des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. Tandis qu’en arrière-plan, des images de gondoles dansent dans la lagune, une fillette a déjà mordu à l’hameçon : « C’est comme dans « Mask Singer » ! », s’enthousiasme-t-elle sans qu’on n’ose la contredire, même si la virtuosité et la pédagogie de la représentation lui permettent de se démarquer avantageusement du divertissement de TF1.
Écrit par Maud Delmar et mis en scène par Timothy Meyers, le spectacle prend soin de contextualiser chacun des morceaux et distille des anecdotes soigneusement adaptées à l’auditoire, sans jamais perdre de vue son esprit ludique. « L’idée était de lever la barrière que l’on dresse instinctivement face à l’opéra lorsqu’on n’a pas eu la chance d’avoir reçu une culture lyrique, explique Pierre Théron, le directeur du théâtre situé en face à la gare du Nord. Le récital d’Aria a été conçu à partir d’une sélection d’airs connus ou faciles à appréhender, pour que chacun réalise que cet art est accessible à tout le monde. » Peu importe l’âge ou l’éducation, il s’agissait « de montrer que ce n’est que du plaisir et de dire aux enfants : « regardez et, si ça vous plait, vous pourrez aller un petit peu plus loin… »
Entre humour et poésie
Marie Anaf capte l’attention de cet exigeant public avec une maestria que lui envieront de nombreux parents et tient la salle en jouant de la dimension participative de sa prestation. Avec elle, on chante, on se balance, on joue les automates, on distribue aussi quelques coups de griffes à la faveur du Duo des chats. De Bizet à Verdi, de Donizetti à Puccini, les tableaux se succèdent sans temps mort, jouant alternativement de l’humour ou du ravissement.
L’air « des bijoux » de Faust de Gounod – « celui de la Castafiore dans Tintin » – vaut à Aria Di Tralala de se retrouver affublée d’un énorme solitaire sur la tête. Quelques notes plus tard, changement de facette. Enveloppée d’une nuée de lépidoptères, elle papillonne, toute en poésie, dans Madama Butterfly. Elle nous offre même d’imaginer ce que pourrait être l’opéra de demain avec sa version branchée de l’air de la Folie (Platée de Rameau). Look futuriste, gants lumineux, lunettes et perruque argentées… Les cinéphiles apprécieront le clin d’œil à la Diva Plavalaguna, cette cantatrice extra-terrestre inventée par Luc Besson dans son film Le Cinquième élément.
Lorsque retentit un sonore « Mme Tralala, en scène dans 5 minutes ! » et qu’il est temps de prendre congé, l’hôtesse sollicite un ultime moment de partage. Ce sera le « Chœur des gamins » (Carmen), prétexte à reproduire les gestes saccadés de la Garde Montante dans un grand élan collectif. Puis vient le final-feu d’artifice à la lumière des lampions chinois… Impériale, la soprano bouscule les codes de Turandot, en s’appropriant le « Nessun dorma » habituellement dévolu à un ténor.
Une play-list de tubes
Après ce voyage en terre lyrique, les béotiens de tous âges auront réalisé que l’opéra compte aussi de grands tubes, dont bon nombre étaient déjà parvenus jusqu’à leurs oreilles. D’autres, déjà initiés, auront (re)découvert des airs moins familiers et constaté que cette récréation n’était pas l’apanage des marmots. Bien que positionné dans la catégorie jeunesse, Mes petits opéras tient la promesse mentionnée sur ses affiches : il s’adresse à un public de 7 à 107 ans.
Parce qu’elle est – malgré son nom de scène – une diva sans tralala, Marie Anaf rencontre ses admirateurs après le show, le temps d’une séance de dédicaces. Tous repartent avec la liste des vingt-et-un morceaux qui ont composé son tour de chant : un souvenir bienvenu pour prolonger l’apprentissage à la maison. Bref, si vous cherchez une sortie intelligente – et à prix doux – dont les petits et grands enfants ressortent avec des paillettes plein les yeux, vous ne ferez pas fausse route en vous orientant vers le Théâtre La Boussole. À ceux qui en redemandent, il propose également Mes petits classiques, une variation sur le même thème dévolue aux instruments de l’orchestre et aux grands compositeurs.
STÉPHANE GATIGNOL
Sélectionné par LYRIK n°3.
À voir :
Mes petits Opéras, au Théâtre La Boussole, jusqu’en juin 2023, les samedi et dimanche à 16 h, et tous les jours, sauf le lundi, pendant les vacances scolaires.