La responsabilité sociale et environnementale (RSE) occupe, depuis plusieurs années, le haut de l’affiche dans les entreprises, organisations et associations. Si le monde lyrique n’a pas attendu qu’on lui en dicte les préceptes pour réemployer costumes et décors, l’Opéra de Lille se place en chef de file du secteur, avec le premier poste à temps plein consacré à ces activités en France, que Laurie Hourriez occupe depuis sa création.
Dès lors qu’on exerce une activité, occupe un territoire, et exploite des ressources, une responsabilité est mise en jeu. La RSE se réfère à la notion de durabilité dans l’environnement, la société, et le temps. « Il faut être durable, pour que notre écosystème le soit aussi. Être conscient de son impact est un effort collectif, mais aussi de chacun, à son échelle et avec ses moyens. » C’est ainsi que Laurie Hourriez dresse un parallèle entre ces actions de l’institution lyrique qu’elle a rejointe en octobre 2022, et les nouvelles consommations responsables, qui s’expriment notamment à travers l’attention accrue à la liste d’ingrédients et à la provenance des produits : « Le public est attentif à ses loisirs, surtout avec un accès simplifié à l’information, d’où l’importance de communiquer. »
L’ouverture, aujourd’hui, du spectacle vivant à la RSE s’explique en partie par sa « structuration plus tardive ». Si certains collaborateurs souhaitant « donner encore plus de sens à leur travail » s’en occupaient jusqu’à présent bénévolement, en plus de leurs missions, les questions réglementaires et la multiplication des projets ont pleinement justifié l’embauche de Laurie Hourriez – alors qu’en dehors de nos frontières, la Monnaie de Bruxelles ou le Dutch National Opera d’Amsterdam disposaient déjà d’homologues. Cette petite révolution française pourra servir de guide à d’autres structures, qui « s’appuient surtout sur des initiatives partagées avec d’autres maisons, pour s’en saisir et les mettre en place plus facilement ».
Un quotidien, des projets
Les enjeux RSE à l’opéra ne sauraient se démarquer de ceux d’une entreprise : « L’Opéra de Lille fonctionne avec un chiffre d’affaires, des fournisseurs, “des clients” (spectateurs), un conseil d’administration. » Depuis son arrivée, Laurie Hourriez partage ainsi son temps entre conseil – appuyé de veille sur l’innovation, d’analyse de processus, et de recommandation d’amélioration opérationnelle – et conduite de projets établis dans la stratégie de l’Opéra. Elle sensibilise étudiants et collègues pour que tous se retrouvent dans la même définition de la RSE. Laurie Hourriez « traduit » ainsi à tous les métiers le bilan carbone réalisé par l’institution en 2022. « Le but est d’ancrer cela dans les pratiques des équipes. C’est en croisant les enjeux d’une saison, de l’Opéra et des équipes que je trouve mes priorités. » Un article lui est notamment réservé dans la newsletter mensuelle interne. « On a accès à l’information, mais aussi à la désinformation. Il faut trouver les bonnes sources, et conseiller comment agir à son niveau. Il faut être à la fois acteur et moteur. »
Sujet majeur de l’art vivant, la mobilité a trait à la venue des publics et des artistes, au transport des décors et au contact avec les publics empêchés. Reste à trouver la clé de voûte entre la garantie d’une offre de transports avant et après les spectacles, le développement du hors-les-murs, et l’ancrage territorial. Les alliances avec les structures culturelles, de transports en commun ou ferroviaires, et RSE, coulent alors de source, sans oublier les chantiers sur l’énergie, la production, la qualité du lieu de travail, la diversité et l’inclusion. Les orientations de la chargée de RSE se répercutent sur tous les services de l’Opéra, et peuvent étoffer des initiatives déjà rôdées. Citons le projet Finoreille, qui fait l’objet de deux représentations après une pratique vocale hebdomadaire de quelque 300 enfants de quartiers populaires, les ateliers de découverte de l’art lyrique en prison, et la retransmission annuelle du dernier spectacle de la saison sur grand écran dans toute la région.
Une certification, des avancées
Il n’y a pas que la fourmilière de savoir-faire qui s’adapte aux changements de société. Le management se place d’autant plus au cœur du XXIe siècle depuis que l’Opéra de Lille a obtenu sa certification ISO 20121 – là encore, une première en France pour une maison lyrique –, relative à la politique de développement durable dans l’événementiel. La direction technique organise, en lien avec les ressources humaines, des interventions sur la posture, pour l’amélioration des conditions de travail, alors qu’une responsable des accessoires, a dressé une liste de compagnies régionales pour faire don de matériel, de costumes et de décors. « La norme ISO 20121 nous a beaucoup aidés dans notre structuration. Des points d’étape biannuels croisent l’aspect stratégique avec l’aspect opérationnel pour évaluer la pertinence des projets sociaux et environnementaux. C’est là que la direction a son rôle d’impulsion. »
Ce qui change l’Opéra de Lille de l’intérieur en tant qu’ « employeur responsable » fait évoluer par capillarité l’ensemble du secteur, ne serait-ce que sur la diversité des programmes et la politique tarifaire : « Il est important de parler à tous les publics, pour que la culture soit le reflet de la société. » La norme ISO20121, avec ou sans certification, cristallise sur trois ans une méthodologie et une structure qui aident à insuffler une démarche RSE, « sans commencer de zéro ». Elle propose des accompagnements et offre un réseau de structures engagées. Le renouvellement de la certification, toujours plus exigeant, pousse à en faire toujours plus. La culture voit donc fleurir des initiatives de groupe telles que le « Collectif de 17h25 », qui parie sur la mutualisation des décors. « Cela modifie fortement la façon de travailler, et ce n’est qu’ainsi que nous y arriverons. »
THIBAULT VICQ
À voir :
Falstaff de Giuseppe Verdi, avec Tassis Christoyannis (Sir John Falstaff), Gezim Myshketa (Ford), Kevin Amiel (Fenton), Luca Lombardo (Dr. Cajus), Loïc Félix (Bardolfo), Damien Pass (Pistola), Gabrielle Philiponet (Mrs. Alice Ford), Clara Guillon (Nannetta), Silvia Beltrami (Mrs. Quickly) et Julie Robard-Gendre (Mrs. Meg Page), sous la direction d’Antonello Allemandi, et dans une mise en scène de Denis Podalydès, à l’Opéra de Lille, du 4 au 24 mai 2023.
Retransmission en direct le 16 mai sur grand écran dans 25 lieux des Hauts-de-France.