Née à Libramont, le 10 octobre 1988, la soprano belge s’est éteinte à Paris, le 16 juin 2024. Technicienne hors pair, idéale dans les emplois légers et virtuoses du répertoire, Jodie Devos était également une musicienne raffinée, à la personnalité attachante. Ses nombreux admirateurs lui ont rendu de vibrants hommages sur les réseaux sociaux, à l’instar de plusieurs théâtres et festivals qui, tout au long de l’été, lui ont dédié représentations et concerts.
Je la savais malade, mais j’avoue avoir été frappé de stupeur en apprenant la disparition de Jodie Devos, à 35 ans et après seulement dix années de carrière. Je la suivais quasiment depuis ses débuts, essayant de ne rater aucune de ses prises de rôles et rêvant à toutes les héroïnes que, dans un avenir plus ou moins proche, l’évolution naturelle de sa voix lui permettrait d’aborder. Les rêves resteront à l’état de rêves. Les souvenirs, en revanche, seront toujours présents.
J’ai vu et entendu Jodie Devos, pour la première fois, en juin 2015, Salle Favart, dans le petit rôle de Claudine, dans Les Mousquetaires au couvent. Elle était alors membre de l’Académie de l’Opéra-Comique, intégrée l’année précédente, dans la foulée de son triomphe au Concours « Reine Elisabeth », à Bruxelles (Deuxième prix & Prix du public).
Après sa première Rosina (Il barbiere di Siviglia), à Liège, en octobre 2015, son étoile a commencé à monter, au point que j’ai décidé de lui consacrer la rubrique « Jeune Talent » du premier numéro de l’année 2017 (voir O. M. n° 124 p. 23 de janvier). Une année au cours de laquelle Jodie Devos a, successivement, abordé Lakmé, à Tours, la Reine de la Nuit (Die Zauberflöte), à Dijon, le Feu, la Princesse et le Rossignol (L’Enfant et les sortilèges), à Montpellier, et fait ses débuts à l’Opéra National de Paris, en Yniold (Pelléas et Mélisande) !
Jodie Devos, il est vrai, apprend très vite, une qualité qui n’échappe pas à Alexandre Dratwicki, directeur artistique du Palazzetto Bru Zane, toujours à l’affût de chanteurs disposés à « avaler » des musiques tombées dans l’oubli, quitte à ne les chanter qu’une seule fois, ensuite. Enrôlée dans l’aventure du Palazzetto, la soprano explore les raretés – Le Timbre d’argent de Saint-Saëns (Opéra-Comique, 2017), La Nonne sanglante de Gounod (id., 2018), la version originelle intégrale de La Vie parisienne (Tours, 2021) – et enregistre deux récitals, parus sous étiquette Alpha Classics, qui raflent toutes les récompenses.
Respectivement gravés en 2018 et 2021, Offenbach Colorature (avec Laurent Campellone au pupitre) et Bijoux perdus (avec Pierre Bleuse) offrent un brillant condensé de l’art de Jodie Devos : voix fraîche et racée, virtuosité toujours expressive, ligne de chant soignée, sens des nuances, intelligence des textes. Merci au Palazzetto Bru Zane de les lui avoir fait enregistrer et à Alpha Classics de les avoir publiés !
En 2021 (voir O. M. n° 177 p. 10 de novembre), Jodie Devos figure, pour la première fois, en couverture d’Opéra Magazine, avec, à l’appui, un long entretien, une chronologie de carrière et une discographie. À l’époque, elle prépare, pour 2022, une impressionnante série de prises de rôles : Gilda (Rigoletto) et Philine (Mignon), à Liège ; Adina (L’elisir d’amore), au Théâtre des Champs-Élysées ; Amélite (Zoroastre de Rameau), à Namur ; Ophélie (Hamlet), à Montpellier ; et Julie Follavoine, dans la première mondiale d’On purge bébé !, l’opéra posthume de Philippe Boesmans, à Bruxelles.
C’est, précisément, en 2022 que j’ai vu Jodie Devos en scène, pour la dernière fois. En Lakmé, une fois encore à Liège – l’Opéra Royal de Wallonie était, pour elle, une sorte de deuxième maison –, j’ai été saisi par l’évolution de la voix : un peu moins facile dans le suraigu qu’à ses débuts, mais nettement plus corsée dans le médium et le grave, sans avoir rien perdu de sa séduction.
Je suis sorti de la salle convaincu qu’elle était désormais prête pour Leïla (Les Pêcheurs de perles) et Violetta Valéry (La traviata). En parlant avec elle, je me suis rendu compte qu’elle avait conscience de ces changements et songeait, effectivement, à orienter sa carrière dans cette direction.
« Gran Dio ! morir si giovine » (« Grand Dieu ! Mourir si jeune »), s’écrie l’héroïne de La traviata, au dernier acte. Ce pourrait être l’épitaphe de Jodie Devos.
RICHARD MARTET