En vingt ans, la pratique vocale a pris une ampleur considérable dans tout l’Hexagone et le film de Christophe Barratier, Les Choristes, a fait des émules : les formations fleurissent, les talents se multiplient… Mais comment bien s’équiper pour aborder le métier, la scène et ses à-côtés? Revue non exhaustive mais copieuse des propositions multiples qui s’offrent aux jeunes chanteurs désireux de travailler leur voix, seuls ou en groupe !
« Depuis quinze ans, les étudiants ont considérablement changé ! Ils écoutent beaucoup plus de musique et désirent parvenir à un très bon niveau. Le monde s’est transformé, tout va plus vite et nous le percevons dans les classes de chant. » Gisèle Fixe est professeure au Conservatoire municipal du VIIe arrondissement de Paris. Elle y enseigne la technique vocale et l’interprétation. Vingt-trois étudiants ont eu la chance d’être intégrés à sa classe – une longue liste d’attente réunit aujourd’hui les jeunes gens désireux de travailler leur voix. Et les motivations sont très variées. « Entre 20 et 30 % de mes étudiants ont le potentiel pour continuer le chant professionnellement. Un jeune chanteur qui est musicien, déchiffre sans difficulté et parle des langues étrangères, peut très rapidement suivre un parcours de choriste. Pour devenir soliste en revanche, même un Conservatoire à rayonnement régional n’est pas suffisant. »
Labels d’exception
En effet, les artistes qui se destinent à la carrière de soliste savent que le chemin est semé d’embûches : la marque d’un très grand conservatoire est quasiment indispensable. En France, les conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse (CNSMD), installés à Paris et à Lyon, font office de labels
d’exception. Si un étudiant ne parvient pas à obtenir ce graal, alors Gisèle Fixe l’encourage à se tourner vers des équivalents à l’étranger : les hautes écoles de musique suisses (HEM), les Musik-hochschule en Allemagne…
Laurent Pillot est directeur du département Voix au CNSMD de Lyon, il encadre vingt-quatre étudiants destinés à vivre de leur musique. Une série d’enseignements vient « équiper » les jeunes
chanteurs : diction lyrique, langues, théâtre, piano, analyse, histoire de la musique ou encore musique ancienne. Le travail sur le corps prend une importance majeure, grâce à la technique Alexander notamment, qui aide à développer un équilibre de la posture. Des heures sont également dédiées au travail avec un chef de chant pour se plonger dans le répertoire.
Les occasions sont nombreuses pour permettre aux étudiants de se présenter devant un public : scène lyrique, production avec un chef et un metteur en scène aguerris. Des auditions permettent aux agents, directeurs artistiques, directeurs de castings, chefs d’orchestre et chefs de chœur d’écouter les étudiants en master et d’accompagner leur transition vers la vie professionnelle. « Le CNSMD est un cocon, il faut que les jeunes artistes aient un contact avec l’environnement qui les attend », insiste Laurent Pillot.
Un partenariat avec l’Opéra de Lyon et des masterclasses avec d’anciens étudiants de l’établissement d’enseignement supérieur lyonnais (Stéphane Degout, Julien Behr) participent de cette dynamique professionnalisante. « Nous essayons de former des chanteurs préparés aux exigences du métier dans toutes ses composantes : certains seront solistes, d’autres exerceront dans des chœurs professionnels d’opéra ou chœurs de chambre », précise Laurent Pillot. Un objectif pris très au sérieux dans un environnement extrêmement compétitif qui ne permettra pas à chacun de se retrouver sur le devant de la scène.
Au cœur des maîtrises
Directeur de la Maîtrise de Notre-Dame de Paris, Henri Chalet insiste également sur ce point. « Nous formons des solistes et des choristes. Le talent, la chance et les opportunités les dirigeront d’un côté ou de l’autre. » Unique en son genre, cette formation accueille des chanteurs de 5 à 28 ans. Héritière d’une tradition chorale interrompue en France au moment de la Révolution, elle est pionnière d’un mouvement qui s’est épanoui ces trente dernières années. L’activité de la Maîtrise de Notre-Dame s’articule autour de trois missions : la pédagogie à travers l’enseignement procuré aux 150 étudiants, l’animation d’une saison de concerts dans la cathédrale et la participation aux 1200 offices annuels. « Nos étudiants dévorent énormément de musique, ce qui leur donne un excellent niveau de déchiffrage. Ils ont accès à un répertoire très riche et travaillent toujours dans la perspective d’une restitution. Nous leur faisons vivre des émotions fortes sur du grand répertoire dès leur plus jeune âge », souligne Henri Chalet.
Si le chant choral forme l’ADN de la Maîtrise de Notre-Dame, l’épanouissement de l’instrument de chacun prend une part très importante dans le cursus proposé. Technique vocale, théâtre, formation musicale, cours d’interprétation à partir du lycée et musique d’ensemble avec un étudiant par voix sont dispensés dans le cadre de la formation. Henri Chalet se félicite de la qualité de l’enseignement: « Le label Notre-Dame fonctionne bien : Pygmalion, Correspondances ou bien le chœur de l’Opéra de Paris – pour ne citer qu’eux – ont une bonne proportion de chanteurs issus de Notre-Dame. » Côté solistes, les mezzo-sopranos Eva Zaïcik (« Révélation lyrique » des Victoires de la musique classique 2018) et Floriane Hasler (lauréate du Concours de chant baroque de Froville en 2021) démontrent l’excellence de l’institution. Si elle est une exception par l’étendue des âges représentés dans ses rangs, cette structure est une proposition parmi de nombreuses autres, qui remportent un succès de plus en plus vif.
Fondée en 1946, la Maîtrise de Radio France est une des doyennes. Elle réunit 180 enfants de 8 à 17 ans, qui participent à la saison musicale de l’Auditorium de la Radio. « Notre mission est de nourrir l’antenne avec un contenu nouveau et original », explique la directrice musicale, Sofi Jeannin. 10 à 15 % des enfants ayant suivi ce cursus embrassent une profession en lien avec leurs années de chant, en devenant solistes, choristes, chefs de chœur, chefs d’orchestre, ou en travaillant dans l’administration culturelle. Si le chœur ne prépare pas spécifiquement à la formation soliste, il permet de développer des bases vocales extrêmement saines, qui favorisent l’épanouissement individuel. « L’excellence de la formation est un véhicule de motivation, nous sommes là pour ouvrir des portes. »
Un pied dans le métier
Dans un monde où la compétition se fait de plus en plus rude, les initiatives pour faire le pont entre la formation et la scène fleurissent, et se structurent. Les académies proposent dorénavant un cadre et une marque. C’est le cas de celle créée à l’Opéra de Paris en 2015 par Myriam Mazouzi, accessible à
l’international. Elle ouvre douze postes rémunérés pour aider les jeunes professionnels à se lancer dans le métier. Ils suivent des masterclasses, se produisent dans des programmes de récitals à l’amphithéâtre de Bastille ou en concert à Garnier, montent une à deux productions lyriques par an. « En général, ils repartent avec un agent, un réseau, ils ont appris des rôles et progressé sur le jeu théâtral », explique Myriam Mazouzi.
Kévin Amiel est passé par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris en 2011 (intégré à l’Académie quatre ans plus tard). Il se souvient de « l’équipe d’élite » qui l’a encadré, ainsi que des nombreuses opportunités pour entrer dans la profession : « Cette formation est très en vue, j’ai appris pendant trois années à « faire du contact » avec les agents, la presse… » [Voir le portrait de l’artiste dans Lyrik n° 2, p.58, ndlr] Désireuse de chercher d’autres profils et de réduire la fracture géographique, sociale et culturelle, Myriam Mazouzi a modélisé l’initiative outre-mer en développant « L’Opéra en Guyane » pour mettre en place des systèmes de professionnalisation avec la collaboration, côté voix, de la mezzo-soprano Marie-Andrée Bouchard-Lesieur. « Le métier se complexifie, notamment sur la mise en scène. Ce sont des parcours difficiles et ingrats, je pense que les chanteurs qui ne passent pas par des académies ont tort », souligne Myriam Mazouzi. Une remarque d’autant plus pertinente que ce genre d’initiative s’est très largement développé.
L’Académie Jaroussky en est un exemple. Fondée en 2017 par le contre-ténor star, elle accueille cinq chanteurs par an, le temps de trois sessions d’une semaine prolongées par quelques jours de concerts. « Je me suis rendu compte que j’aimais beaucoup enseigner, je suis aussi conscient que si je débutais aujourd’hui, ce ne serait pas aussi facile que ça l’a été pour moi il y a vingt ans », remarque Philippe Jaroussky. Ses étudiants sont nombreux à chercher des propositions rémunérées, quand la
majorité est faite à titre gratuit. « Nous avons d’abord souhaité mettre l’accent sur l’aspect pédagogique, et l’Académie s’est naturellement installée comme un des projets professionnalisants en France. » Très largement sollicitée dans les festivals, l’Académie Jaroussky a offert un tremplin de choix à Paul-Antoine
Bénos-Djian ou Adrien Fournaison, recrutés sur la production de Giulio Cesare avec l’ensemble Artaserse, dirigé par le contre-ténor.
De son côté, la soprano Patricia Petibon a souhaité elle aussi répondre aux besoins de la jeune génération en fondant sa propre académie. En avril prochain, Les Chants d’Ulysse réuniront chanteurs et instrumentistes au Dôme de Saumur et à l’Abbaye de Fontevraud, sous l’impulsion d’Héloïse Gaillard et de Patricia Petibon. « Le monde est en train de changer radicalement. Nous traversons une époque en quête de sens. Les chanteurs doivent apprendre à se différencier en tant qu’individu, à se nourrir de l’intérieur en cultivant la bienveillance. » Pour aider les jeunes artistes à ouvrir leur esprit, la soprano n’hésite pas à croiser les regards : celui du metteur en scène Olivier Py avec celui d’un astrophysicien, celui d’un phoniatre et celui d’un apnéiste… Profondeur, effort, patience et spontanéité seront les maîtres-mots de ces dix jours de cette formation. La soprano insiste également sur l’importance d’explorer largement les esthétiques : « Le jazz par exemple est très intéressant pour développer le placement rythmique. Il sollicite l’instinct et la spontanéité. À mes débuts, aucun établissement ne proposait de formation pour ça ! »
Formations transversales
Si les écoles s’ouvrent désormais à toutes les esthétiques voisines de l’art lyrique (en témoigne la création du département jazz au CNSMD de Paris en 1991), il demeure des zones d’ombre. Éléonore Duizabo a étudié à la Maîtrise de Paris, au Conservatoire de la rue de Madrid. Elle y a découvert la comédie musicale grâce à un recrutement pour faire partie de la distribution de La Mélodie du bonheur, donnée au Théâtre du Châtelet en 2009. Cette expérience l’a plongée dans un genre encore mis de côté dans l’univers de la musique classique. « Pour ma génération, faire de la comédie musicale n’est pas un pas de côté, mais ça l’était cinq ans auparavant! » La culture de la comédie musicale étant beaucoup plus solidement établie outre-Manche, Éléonore Duizabo a souhaité se former à Londres: « Là-bas, une cinquantaine de comédies musicales se jouent en même temps, ce n’est pas encore le cas à Paris où l’on considère qu’on ne peut pas être bon partout. » Car ce genre fait appel à des talents de chant bien sûr, mais aussi de danse, de théâtre… et parfois de combat scénique ! Associée à la production Normandie des Frivolités Parisiennes aux côtés de chanteurs au parcours lyrique, Éléonore Duizabo démontre la solidité de formations transversales et ouvertes.
Opera Fuoco, les bienfaits du long terme
En 2003, David Stern a créé l’ensemble Opera Fuoco, une compagnie lyrique à rayonnement international. Naturellement, le chef américain a créé trois ans plus tard l’atelier lyrique adossé à sa formation. « À l’époque, il n’y avait pas de troupe pour les jeunes chanteurs en France. Les directeurs de théâtre se tournaient alors vers les artistes étrangers qui étaient mieux préparés. » Le cursus qu’il propose à une quinzaine de chanteurs leur offre un accompagnement de trois ans : des masterclasses,
un coaching individualisé et deux productions par saison, qui leur permettent d’endosser tous les rôles, de prendre des risques et de grandir sur scène. « La vie d’un chanteur d’opéra est rude, cette formule
leur donne le temps de grandir sans la pression d’être renvoyé à chaque instant. » La résidence à l’Opéra de Massy ouvre de nouvelles perspectives à l’ensemble qui profitera d’une scène ample et du rayonnement d’une institution lyrique majeure. En avril 2024, un concert au Théâtre des Champs-Élysées
célébrera les 20 ans de cette grande aventure, avec la participation de personnalités qui ont profité de ce tremplin inestimable : Lea Desandre, Cyrielle Ndjiki Nya, Adèle Charvet ou encore Vannina Santoni.
AUDE GIGER
Un article paru dans LYRIK n°3.