Le 22 novembre 2018, à Versailles, le retour de Tarare créait l’événement (voir O. M. n° 146 p. 70 de janvier 2019). Le public découvrait un compositeur depuis longtemps marginalisé mais qui, grâce aux efforts répétés de Christophe Rousset, n’avait pas complètement sombré dans les oubliettes – un musicien qui réussit le pari de concilier la tension de la « tragédie lyrique » au sourire de l’« opéra-comique», par une narration habilement et rondement menée, souple, ductile, sans temps mort, enserrant les airs dans des récitatifs d’une extrême concision et exploitant sans complexe le mélange des genres.
Quant au livret, signé Beaumarchais, si sa lecture révèle quelques naïvetés, il n’en est pas moins redoutablement efficace, et ses bons sentiments, prônant la valeur de la vertu sur la naissance et le pouvoir, conservent encore une part d’actualité.
L’autre attrait de la soirée était son interprétation. L’enregistrement a été effectué le 26 novembre, au Conservatoire Lully de Puteaux, ainsi que les 27 et 28, à la Cité de la Musique/Philharmonie de Paris. Il possède les mêmes atouts. Des points communs à tous les interprètes : la clarté de leur élocution française, leur respect du style et leur investissement dans les personnages, sans que l’absence de mise en scène les pousse vers la tentation de surjouer.
La fougue du Tarare de Cyrille Dubois et la lumière de son timbre, l’espièglerie de la Spinette de Judith van Wanroij, l’humour du Calpigi d’Enguerrand de Hys, la classe de Tassis Christoyannis et son intime perception du drame, qui lui permettent d’affronter les sentiments les plus ambigus d’Arthénée, l’intelligence théâtrale et musicale quasi diabolique de Jean-Sébastien Bou, Atar frisant la perfection, l’art de la déclamation de Karine Deshayes, Astasie bouleversante : quelle superbe équipe, complétée par des talents aussi prometteurs que Jérôme Boutillier et Philippe-Nicolas Martin ! À leurs côtés, également, les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles, comme toujours excellents.
Tous ne pouvaient avoir meilleur mentor que Christophe Rousset. Son orchestre – Les Talens Lyriques – sonne fièrement et varie les couleurs à l’envi, les instruments affirmant leur importance, mais conservant un parfait équilibre avec les voix ; le discours, mené avec souplesse, avance sans languir, démentant l’impression de fragmentation que pourrait donner la brièveté des séquences.
Auparavant, une seule version de Tarare, dans sa version originale française de 1787, existait, en DVD uniquement : une mise en scène de Jean-Louis Martinoty, captée au Festival de Schwetzingen, en 1988 (Arthaus Musik). On se rappelle l‘élégance du Tarare de Howard Crook, la fougue de l’Atar de Jean-Philippe Lafont, et la générosité de la direction de Jean-Claude Malgoire. Mais le temps a fait son œuvre… Le CD nous offre aujourd’hui une intégrale qui restera probablement une référence pour longtemps.
MICHEL PAROUTY