Le voici enfin au disque, le choc « Grand Siècle » de l’année 2018 ! Au Festival d’Ambronay, l’efficacité dramatique et la beauté de cette partition nous avaient ébloui (voir O. M. n° 145 p. 61 de décembre). Dans Sémiramis (Paris, 1718), tout l’héritage Lully est présent, mais avec une grâce de timbres et une effervescence mélodique qui ont des souplesses « Régence ».

Dans cet enregistrement réalisé sur le vif, à l’Opéra Royal de Versailles, le 4 mars 2020, on retrouve le travail précis et inspiré de Margaux Blanchard, Sylvain Sartre et l’ensemble Les Ombres. Représentative de la nouvelle génération baroque, cette formation offre un jeu dense, aux pupitres impeccables. Le rendu est festif, autant que tragique. À cet égard, l’impressionnante « Chaconne » de l’acte I fascine, tout comme les passages de magie.

« Pompeux apprêts », la grande scène de Sémiramis ouvrant l’opéra, relève à la fois du monologue d’Armide (1686) et de la déploration de Télaïre dans Castor et Pollux (1737). Mais là où Rameau raisonnera, André Cardinal Destouches (1672-1749) laisse couler la passion, par exemple dans ce surprenant final tissé de détresse, qui voit la reine s’éteindre dans le silence. Peu de pompe, mais une véracité du sentiment, où le compositeur anticipe Gluck.

L’impeccable Chœur du Concert Spirituel, préparé par Hervé Niquet, est à l’œuvre. Dans le rôle-titre, l’impériale Eléonore Pancrazi succède à Judith van Wanroij, qui l’avait recréé à Ambronay. Le timbre fruité d’Emmanuelle de Negri ne cesse de ravir en Amestris, la seule minute que dure « J’immole aux dieux le printemps de mes jours », à l’acte IV, s’avérant un modèle de phrasé.

Mathias Vidal campe un héros pugnace, possédant les attaques d’un Paul Agnew et les couleurs d’un Juan Diego Florez, bien qu’on puisse lui reprocher un manque de subtilité, l’interprète se refusant à laisser respirer son Arsane. En Zoroastre, Thibault de Damas succède à Joao Fernandes. Le bronze de la voix porte un enthousiasmant acte infernal.

Cette Sémiramis, surgie des bibliothèques après trois siècles d’oubli, est bien une redécouverte majeure du répertoire de l’Académie Royale de Musique, dans les années séparant la mort de Lully (1687) et l’avènement de Rameau (1733), au même titre que la Sémélé de Marin Marais ou l’Ulysse de Jean-Féry Rebel.

VINCENT BOREL

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