Opéras Wozzeck sous surveillance à Lyon
Opéras

Wozzeck sous surveillance à Lyon

06/11/2024
Robert Lewis (Andres) et Stéphane Degout (Wozzeck). © Jean-Louis Fernandez

Opéra, 12 octobre

C’est d’abord, et surtout, pour sa distribution que ce nouveau Wozzeck, présenté à l’Opéra de Lyon – en coproduction avec l’Opéra Royal de Stockholm –, s’inscrit dans la mémoire. Moins pour telle ou telle incarnation, plus ou moins saisissante – non que certaines, dans les limites imposées par la mise en scène du maître des lieux, Richard Brunel, ne le soient pas –, que pour les qualités vocales d’un ensemble aux individualités, à cet égard, exemplaires. Voilà qui, pour le premier opéra de Berg, où le théâtre prend généralement le pas sur le chant, est plutôt inhabituel.

Si le Docteur, plus jeune que de coutume, de Thomas Faulkner est l’élément le moins marquant du plateau, les ténors se hissent tous à des hauteurs exceptionnelles. Qu’il s’agisse du Fou de Filipp Varik, ou du Tambour-Major de Robert Watson, au franc héroïsme. Mais surtout, promesse tenue, par celui qui, inconnu alors, s’était fait bien mieux que remarquer dans le même rôle, au Festival d’Aix-en-Provence, en juillet 2023, du formidable Robert Lewis, Andres à la fois poétique et éclatant. Et comment résister au jeu rarement aussi fluide, et assumé, entre les registres de Thomas Ebenstein, qui évite au Capitaine les cris de chapon outranciers de certains de ses prédécesseurs ?

Voici un an, Ambur Braid marquait durablement les esprits, et le public de l’Opéra de Lyon, en Teinturière torride et acérée, dans la production de Die Frau ohne Schatten, qui ouvrait la saison passée (voir O. M. n° 198 p. 60 de décembre-janvier 2023-2024). Sa Marie est de la même eau, dont les galbes aiguisés peuvent tendre, parfois, vers la stridence, sans que le portrait, à la fois tendre et volontaire, qu’elle dessine n’en soit affecté.

Au sommet, il faut placer Stéphane Degout, prenant ses distances avec l’expressionnisme souvent de rigueur, dans le rôle-titre, pour en révéler, dans un « Sprechgesang » comme un lyrisme – l’un n’empêchant pas l’autre – éminemment distingués, la profondeur de l’âme meurtrie, pour laquelle tout est perdu d’avance.

Ni Daniele Rustioni, ni l’Orchestre de l’Opéra de Lyon ne renouvellent, dans la fosse, le miracle de Die Frau ohne Schatten. Le chef italien fait indéniablement avancer l’action, mais il manque, en contraste avec les transparences éminemment françaises d’une phalange qui tirerait presque Wozzeck vers Pelléas et Mélisande, une sombre densité de la matière sonore, pour exalter le génie expressif de la partition.

Le spectacle de Richard Brunel ne compense pas, au contraire, qui applique sur le livret un scénario, parfaitement ficelé et mené, d’expérience collective, dans un état censément dystopique, où pouvoirs politique et religieux œuvrent de conserve avec les militaires et les hommes de science – un ministre et un prêtre accompagnent le Capitaine et le Docteur.

D’abord jugé inapte à participer au programme, Wozzeck, non plus soldat, mais seulement pauvre hère, insiste, pour en tirer le maigre bénéfice d’un peu d’argent et de médicaments, qu’il transporte dans un sac en plastique. Et le voici, dans le décor fonctionnel, d’un réalisme clinique, d’Etienne Pluss, traqué par un projecteur monté sur un long bras arachnéen et des caméras.

C’est efficace, lisible, bien joué souvent, sans qu’on en sorte avec cette sensation de l’empreinte esthétique, théâtrale et émotionnelle laissée par les productions récentes de Deborah Warner, au Covent Garden de Londres (voir O. M. n° 194 p. 72 de juillet-août 2023), et Simon McBurney, au Festival d’Aix-en-Provence (voir O. M. n° 195 p. 45 de septembre 2023). Parce que fait défaut, à cette approche, tendant immanquablement vers le fait divers, cette dimension universelle et poétique, qui marque l’ouvrage du sceau de sa singulière perfection.

MEHDI MAHDAVI

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