Opéras Vermeer héros d’opéra à Zurich
Opéras

Vermeer héros d’opéra à Zurich

04/05/2022

Opernhaus, 29 avril

On connaît La Jeune Fille à la perle, l’un des plus célèbres tableaux de Vermeer (La Haye, Mauritshuis). On connaît aussi le best-seller de Tracy Chevalier (1999), et le film qu’en a tiré Peter Webber (2003), avec Scarlett Johansson dans le rôle de Griet, la jeune servante devenue modèle, et Colin Firth dans celui du peintre. Désormais, La Jeune Fille à la perle ou, plus exactement, Girl with a Pearl Earring désignera également un opéra, créé à Zurich, avec deux ans de retard, pour cause de pandémie.

Né en 1975, formé notamment auprès de George Benjamin, le Suisse Stefan Wirth est sans doute plus connu comme pianiste, accompagnateur de récitals ou collaborateur régulier de divers ensembles de musique contemporaine, que comme compositeur. Écrit sur un livret en langue anglaise de Philip Littell, divisé en trois parties (qualifiées de « mouvements »), Girl with a Pearl Earring, son coup d’essai dans l’univers lyrique, est plutôt un coup de maître.

Si elle ne fait pas appel aux chœurs, l’œuvre requiert un orchestre de proportions traditionnelles, légèrement renforcé du côté des bois, avec quatre claviers et, surtout, un effectif imposant d’une douzaine de percussionnistes. Les premières minutes se caractérisent par une accumulation d’éclairs sonores où, peu à peu, les stridences des vents s’installent dans un dialogue avec des moments de calme, où les cordes dominent.

Hormis de beaux interludes symphoniques, où l’orchestre s’épanouit entre les « mouvements », la partition se présente comme une succession de courtes cellules raffinées, et sans cesse changeantes, qui sous-tendent les voix. Peter Rundel, à la tête de l’orchestre Philharmonia Zürich, excelle à donner à chacun de ces instants sa couleur. L’écriture vocale, plutôt consonante, est soignée, et les chanteurs semblent s’y déployer sans trop de peine.

La caractérisation vocale des différents personnages est peu perceptible, comme si l’homogénéité de l’ensemble passait avant les individualités. Dans le cas de Vermeer, l’absence d’air est revendiquée par Stefan Wirth comme une façon de laisser au peintre sa part de mystère – même mort, il continue d’ailleurs à apparaître sur le plateau.

Il n’y a pas, à proprement parler, de citations ou réminiscences du répertoire du XVIIe siècle, sinon l’irruption, au III, d’un pastiche de passamezzo, joué au clavecin – scène qui renvoie aux divers tableaux du maître représentant des moments musicaux. L’opéra atteint son climax, quand Vermeer réalise son fameux portrait : une large page, purement orchestrale, dont la texture se densifie progressivement à la manière d’un cadre qui se remplit, culminant dans les déchaînements parallèles d’une multitude de jeux de cloches spatialisés devant les accès à la salle, ouverts pour l’occasion.

Ted Huffman signe une mise en scène dont la sobriété, quasiment calviniste, répond à celle de la partition. Sur une tournette dont la vitesse de rotation varie, le seul élément de décor permanent est un large panneau, composé de huit rectangles verticaux lumineux, ressemblant à de grands miroirs. Cette source de lumière baigne tantôt la pièce où travaille Vermeer, tantôt son envers, un mur noir où les serviteurs accrochent manteaux et tabliers.

Il y a parfois quelques meubles – dont l’étal du boucher, le sculptural Pieter, incarné par l’impeccable baryton Yannick Debus –, mais pas de tableaux : la peinture est constamment évoquée, mais jamais montrée.

Les scènes où apparaissent les enfants Vermeer sont assez réussies, l’option étant prise d’en réduire le nombre à trois (il y en eut onze, en réalité, ce qui explique que leur mère, Catharina, soit ici en permanence enceinte jusqu’aux yeux), incarnés par trois jeunes figurantes, flanquées de l’excellente soprano Lisa Tatin, qui chante les trois rôles. Les costumes sont une déclinaison légèrement actualisée de tenues d’époque, déclinées dans des tons pastel, à l’exception du jaune de la robe de Catharina, ainsi que l’or du manteau et le bleu de la coiffe que porte Griet pour poser.

Stefan Wirth a écrit en connaissance des caractéristiques vocales de ses solistes, ce qui permet à chacun une réelle aisance. Incarnant un Jan Vermeer plutôt doux et pudique, le baryton Thomas Hampson montre qu’il a gardé un timbre chaud et une riche palette de nuances, tandis que la soprano Laura Aikin exprime la colère sourde de Catharina Vermeer dans une écriture exigeante, mais sobre. Tout aussi excellents, la Maria Thins de la mezzo Liliana Nikiteanu et l’antipathique Van Ruijven du ténor Iain Milne.

Mais la triomphatrice de la soirée est, logiquement, Laura Snouffer. La soprano américaine se révèle éblouissante d’intensité, comme de finesse, dans le rôle complexe de Griet, découvrant soudainement un autre monde, avec l’hostilité de certains, mais aussi le pouvoir qu’elle peut exercer sur d’autres.

NICOLAS BLANMONT


© TONI SUTER

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