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Une vision étouffante d’Il trovatore à Saint-Étienne

30/11/2023
Angélique Boudeville (Leonora) et Antonio Coriano (Manrico). © Cyrille Cauvet/Opéra de Saint-Étienne

Grand Théâtre Massenet, 17 novembre

L’Opéra de Saint-Étienne offre, avec cette nouvelle mise en scène d’Il trovatore, confiée à Louis Désiré, en coproduction avec l’Opéra de Marseille, un témoignage du courage et de la confiance qui caractérisent ses initiatives. Réalisés par les ateliers de la maison, les décors et les costumes, signés Diego Méndez Casariego, imposent une vision étouffante du drame. Et appellent les lumières subtiles de Patrick Méeüs, qui déchirent, aux moments importants, les ténèbres ambiantes.

D’un camaïeu de noir et de gris surgit, obsédant, le rouge du sang et des flammes, évoqué par le voile dont s’enveloppe Azucena, semblant y dissimuler l’enfant qu’elle a jadis sacrifié à la vengeance de sa mère. Des panneaux mobiles délimitent l’espace intérieur des appartements de Leonora, au I, tandis que de hautes murailles d’acier esquissent la forteresse et la prison, au IV.

Avouons que le camp des Bohémiens ne se devine guère, au début du II, ni les vigoureux forgerons frappant l’enclume en cadence, auxquels se substituent des silhouettes en tuniques blanches. Et la végétation indistincte, en fond de scène, indique-t-elle un au-delà de cet univers ?

Au III, les soldats coiffés de bonnets de police, en chemise et bretelles, appartiennent, de façon évidente, au XIXe siècle. Ils brandissent leurs tabourets pour maltraiter Azucena, qu’ils ont capturée. Pendant le « Miserere », un pont-levis s’abaisse, souligné par des rais de lumière intense.

La partition, qui commence sans le moindre prélude, exige une avancée continue. Cette impulsion ardente, Giuseppe Grazioli la communique à un Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire incontestable, comme à un Chœur Lyrique survolté, préparé par Laurent Touche.

Contrairement à l’adage selon lequel les quatre meilleurs chanteurs du moment suffisent à qui prétend proposer Il trovatore, il en faut un cinquième : Ferrando, dont le récit liminaire explique la situation. Avec le Belge Patrick Bolleire, stature imposante, basse profonde, alliant puissance et agilité dans les gruppetti d’« Abbietta zingara », c’est une évidence.

Les quatre protagonistes atteignent-ils à cette flagrance ? Bohémienne tout de blanc maquillée, comme une sorte de Butterfly hallucinée, la Bulgare Kamelia Kader poitrine beaucoup. Cependant, son « Ai nostri monti » rêveur, au IV, ne manque pas de poésie.

L’Italien Antonio Coriano, dont la prestance et le timbre possèdent une séduction certaine, est un beau ténor lyrique. Il sert avec élégance « Deserto sulla terra », phrase à merveille le tendre « Ah ! si, ben mio », ose – et réussit – le contre-ut facultatif, tant attendu à la fin de « Di quella pira ». Son Manrico se fatigue, aussi, et se brouille, parfois,  avec la justesse.

Pour Angélique Boudeville, Leonora ne vient-elle pas trop tôt ? La soprano française en a le riche médium, l’étendue, la musicalité. Si son entrée laisse entendre quelques aigus stridents, tout se stabilise sur la durée, à l’inverse de son partenaire. Après un magnifique « D’amor, sull’ali rosee » et un grand « Miserere », elle bouleverse dans ses adieux (« Prima che d’altri vivere »), aux pianissimi séraphiques.

Reste le cas de Luna. À la place d’Ernesto Petti, initialement prévu, c’est au baryton letton Valdis Jansons (Macbeth ici même, en juin dernier), qu’échoit un rôle où la vocalité la plus urgente s’impose. Il n’en est rien, et l’on s’étonne de tant de falsetto pour esquiver l’aigu, de tant de phonèmes rendant l’italien méconnaissable, et d’un ton constamment plaintif. Ce qui peut convenir à Macbeth, enveloppé de brume, la fulgurance et, surtout, la place dans le masque, exigées ici, l’excluent pour le Comte.

Amandine Ammirati, qui confère aux interventions d’Ines une intensité peu commune, et Marc Larcher, solide Ruiz, contribuent, en revanche, à l’accomplissement du drame.

PATRICE HENRIOT

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