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Une Khovanchtchina imparfaite, mais d’une grande force, à Berlin

03/07/2024
Mika Kares (Ivan Khovanski). © Monika Rittershaus

Staatsoper Unter den Linden, 16 juin

Après avoir régulièrement collaboré à Hambourg, il y a quelques années, Simone Young et Claus Guth se retrouvent à Berlin, pour cette Khovanchtchina (L’Affaire Khovanski) de Moussorgski, initialement programmée en 2020 – avec Vladimir Jurowski au pupitre. Si l’ouvrage marque les débuts du metteur en scène allemand dans le répertoire russe, la cheffe australienne l’a plusieurs fois dirigé, et n’a pas hésité longtemps avant de choisir la version orchestrée par Chostakovitch, mais en y insérant le finale de Stravinsky.

Simone Young a étudié la langue russe, et cette connaissance lui est précieuse, pour maintenir une tension dramatique constante dans les longues scènes de dialogue. Elles apparaissent, ainsi, davantage comme la continuité des grands tableaux de foule que comme des intermèdes, qui pourraient sembler ennuyeux. On rêverait, parfois, d’un son moins massif, laissant plus de place aux détails des coloris, mais la fluidité de la soirée impressionne, depuis la douceur élégante du prélude jusqu’au finale éclatant, en passant par la « Danse des esclaves persanes ».

De son côté, Claus Guth reconnaît avoir été un peu démuni face à une œuvre où, explique-t-il, il ne peut se fier à sa seule intuition, en recourant à l’approche psychologique, qu’il adopte le plus souvent. Difficile, on veut bien le croire, de faire du conceptuel avec une telle quantité de personnages, de péripéties et de conciliabules !

Le metteur en scène joue, dès lors, la carte d’une sorte d’authenticité historique, qui pourrait presque passer pour une lecture au premier degré, s’il n’y ajoutait une couche de distanciation. Les protagonistes sont, en effet, entourés en permanence par un essaim d’une vingtaine de figurants, habillés de façon uniforme, comme les membres d’une secte, qui préparent leurs entrées et accompagnent leurs sorties – et parfois même les filment, pour une projection, en direct, sur le mur du fond.

C’est, tout à la fois, l’idée d’une observation et d’une œuvre en construction – comme le fut la partition, elle-même, de même que cette production, retardée par la pandémie. Si le procédé ne manque pas de vertus de lisibilité – une fiche d’identification de chaque protagoniste est projetée, à sa première apparition –, le résultat laisse un sentiment un peu artificiel. D’autant que la direction d’acteurs semble moins aboutie que dans ce que Claus Guth propose d’habitude.

S’inscrivant dans la même perspective de fidélité historique, les costumes d’Ursula Kudrna ne manquent ni de grandeur, ni de beauté. Pourtant, bien que le spectacle témoigne d’un incontestable sens du tableau, avec des images d’une force picturale souvent éblouissante, on reste frustré par ces grandes scènes de foule, se déroulant sur un plateau presque nu.

L’imposant Khovanski de Mika Kares domine la soirée par sa stature, son chant et son charisme – pour la basse finlandaise, c’est déjà une incarnation de référence. Mais la Marfa de Marina Prudenskaya mérite tout autant d’entrer dans la légende : en effet, la mezzo russe se révèle fabuleuse de netteté et de projection dans tous les registres, avec un sens du texte idéal et une expressivité bouleversante.

L’Emma de la soprano croate Evelin Novak est précise, le Chaklovity du baryton géorgien George Gagnidze, solide, et le Dossifeï de la basse ukrainienne Taras Shtonda, somptueux de profondeur. Les ténors offrent des prestations moins homogènes, entre le Scribe du Russe Andrei Popov, à la voix plus d’une fois étranglée, et le suave Golitsine de l’Allemand Stephan Rügamer, en passant par l’Andreï, au souffle court dans le grave et à l’aigu un peu criard, de l’Ouzbek Najmiddin Mavlyanov, qui s’améliore, néanmoins, au dernier acte.

Si l’on y ajoute un orchestre (Staatskapelle Berlin) de très belle tenue et des chœurs magnifiques (Staatsopernchor Berlin), on tient là un spectacle imparfait, sans doute, mais d’une grande force.

NICOLAS BLANMONT

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