Opéras Une Cendrillon trop peu intelligible à Paris
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Une Cendrillon trop peu intelligible à Paris

08/11/2023
Paula Murrihy (Le Prince Charmant) et Jeanine De Bique (Cendrillon). © Opéra National de Paris/Elisa Haberer

Opéra Bastille, 1er novembre

Cendrillon avait fait son entrée à l’Opéra National de Paris, en mars 2022 (voir O. M. n° 182 p. 59 de mai), et nous nous étions alors interrogé sur la pertinence de monter, à l’Opéra Bastille, un ouvrage pensé pour l’écrin de la Salle Favart. Le spectacle avait balayé nos doutes, grâce à la mise en scène intelligente de Mariame Clément, à une distribution adaptée, mais aussi, et surtout, à la baguette attentive de Carlo Rizzi.

Avec cette reprise, la question de l’adéquation de l’œuvre au lieu se pose à nouveau, avec insistance, les mille couleurs de l’orchestre de Massenet paraissant comme noyées dans cette vaste nef, et l’équilibre entre la fosse et le plateau s’avérant, cette fois, souvent problématique.

La faute en incombe, d’abord, à Keri-Lynn Wilson, qui montre, certes, pour ses débuts dans la maison, un savoir-faire à l’anglo-saxonne, avec une direction puissante et précise. La cheffe canadienne peine, cependant, à tenir la bride à l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, pour trouver ces brusques moments d’intimité émerveillée ou de féerie sonore, qui font le sel de la partition.

Elle ne parvient pas davantage à obtenir, de la part d’un plateau très international, une attention suffisante au texte, ni même une intelligibilité minimale, rendant la lecture des surtitres indispensable – un problème qui ne concerne pas les Chœurs, excellents et d’une belle implication théâtrale.

Jeanine De Bique prête au rôle-titre sa grâce en scène et sa voix ravissante, aux exquis pianissimi aigus. Dommage que l’émission très couverte de la soprano trinidadienne donne, notamment au médium et au grave, une couleur trop sombre, peu adaptée à la jeunesse et à la simplicité du personnage – et, surtout, empêchant de comprendre le moindre mot, alors même que son phrasé et ses nuances témoignent de sa sensibilité en la matière.

Malgré des voyelles très déformées, l’Irlandaise Paula Murrihy se révèle un peu plus compréhensible. Mais son mezzo désordonné, beaucoup trop vibré, à l’intonation souvent douteuse, manque de charme – un comble pour le Prince Charmant ! – et d’émotion. De surcroît, son instrument s’accorde mal à celui de Jeanine De Bique, défaut rédhibitoire dans cet ouvrage jouant sur la gémellité vocale des amoureux, en particulier dans le duo – à l’unisson ! – du III.

La Norvégienne Caroline Wettergreen présente un troisième type de rapport au français. Si son soprano léger est impeccable dans les coloratures, piqués, trilles et suraigus, l’apprentissage du rôle semble avoir été seulement phonétique, sans aucune intention derrière le texte, à peine énoncé… Une Fée froide, manquant terriblement d’esprit, voire tout simplement d’idée.

De la distribution d’origine, Madame de la Haltière et le Roi sont les seuls rescapés. Mais, tandis que Philippe Rouillon continue de conférer classe et sentiment à ce dernier, Daniela Barcellona paraît un peu moins à l’aise vocalement : le registre inférieur sonne plus sourd, notamment dans son air « Lorsqu’on a plus de vingt quartiers ». Cette marâtre n’en reste pas moins impérieuse et pleine de second degré.

Ses deux filles sont plus effacées, le port du masque – elles sont les seules du plateau à l’arborer – ne permettant pas une projection toujours suffisante. On attendra donc une autre occasion  pour mieux juger des qualités de la soprano Emy Gazeilles et de la mezzo Marine Chagnon, toutes deux membres de la nouvelle Troupe Lyrique de l’Opéra National de Paris.

Quant à Laurent Naouri, il est le seul, avec Philippe Rouillon, à être parfaitement intelligible, dans une partie convenant bien à ses capacités actuelles. On regrette, néanmoins, que sa ligne soit encombrée de tant d’accents et d’à-coups, brouillant la justesse et cantonnant Pandolfe au seul registre comique ; avec un instrument plus intègre et un goût plus subtil, son prédécesseur, Lionel Lhote, savait lui conférer une tout autre humanité.

Cette production très réussie de Cendrillon continue, en tout cas, à ravir le public.

THIERRY GUYENNE

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