Grand-Théâtre, 26 avril
Faire du neuf avec du vieux : tel était le défi lancé par l’Opéra National de Bordeaux à Emmanuelle Bastet et son équipe, pour cette nouvelle production éco-responsable, qui se propose de monter La Bohème dans des éléments de décor et avec des costumes récupérés de spectacles antérieurs.
Si le pari semble tenu, c’est, plutôt, dans la totale abstraction des deux derniers actes. Ainsi, à la barrière d’Enfer, de simples ombres figurent les laitières de l’aube parisienne, qui passent à l’arrière-plan. Quant aux douaniers, ce sont devenus des agents de sécurité. Le banc où Mimi, sans doute SDF, désormais, s’est endormie, s’élève et devient une balancelle, où se jouera le duo d’adieu. Au IV, le plateau, vidé de tout accessoire, donne un relief extraordinaire à la scène finale.
Au I, en revanche, le dispositif scénique – un hideux divan, un énorme frigo vide… et un poêle à bois, ultime épave d’une Bohème traditionnelle, dans ce contexte résolument contemporain – ne permet pas à la rencontre entre Mimi et Rodolfo de se jouer de façon « naturelle », avec une direction d’acteurs un rien forcée. Quant au café Momus, la surcharge de figuration, massée à l’avant-scène, n’offre guère de lisibilité aux menues péripéties, qui animent cette scène de foule.
De plus, cette relecture moderne d’un ouvrage si précisément ancré dans son contexte historique, sous le règne de Louis-Philippe, conduit les surtitres à lutter, en permanence, contre les détails « réalistes » du livret, qu’ils simplifient à outrance, au point, parfois, d’édulcorer le texte.
Emmanuelle Bastet n’en caractérise pas moins remarquablement les personnages, ce qui bénéficie, tout particulièrement, aux rôles secondaires – et, notamment, le solide Colline de Goderdzi Janelidze, à qui sa basse puissante et richement timbrée vaut un petit succès personnel, dans son air « Vecchia zimarra ».
La production bénéficie, en outre, d’une distribution répondant parfaitement à la jeunesse des protagonistes. Remplaçant Caterina Sala, initialement annoncée, Juliana Grigoryan, belle voix ambrée, au médium nourri, sait convoquer progressivement toutes les facettes de Mimi, cousette faussement candide, mais profondément tragique.
Lui répond le Rodolfo brillant d’Arturo Chacon-Cruz, qui gagnerait à ne pas systématiquement appuyer un suraigu facile, de façon un peu trop démonstrative, mais à cultiver un lyrisme ne demandant qu’à s’épanouir, comme le montrent les duos, où il excelle.
Le baryton sombre de Thomas Dolié donne un relief certain à un Marcello bon garçon, bien qu’il lui manque cette touche d’italianité, que sait si bien convoquer le Schaunard désinvolte de Timothée Varon, à la voix chaleureuse. Enfin, Francesca Pia Vitale compose une Musetta légère et sensuelle, un rien vulgaire, d’abord, avec sa perruque blonde et sa robe de laine collante, vraiment touchante, ensuite, au dernier acte.
Dans la fosse, Roberto Gonzales-Monjas fait vivre le drame et briller la riche instrumentation, parfois au risque d’écraser les voix – ce dont l’acoustique du Grand-Théâtre, peu adaptée au symphonisme de Puccini, est, sans doute, en partie responsable.
ALFRED CARON