Opéra, 11 octobre
Le décor unique d’une piazzetta napolitaine, au milieu de ruelles où le linge pend d’un mur à l’autre, et où s’ouvre, au centre, la terrasse de l’« Osteria del Teatro », s’éclaire progressivement sur l’Ouverture : lampadaires, loupiotes diverses, lumières filtrant à travers les volets des chambres encore fermées… Minutieuse reconstitution, dessinée avec beaucoup de talent et d’ingéniosité par Daniel Bianco.
Pas de vidéos, et aucun film projeté : pour cette variation – plutôt que simple reprise – de sa production, présentée au Capitole de Toulouse, en novembre 2016, et alors jugée assez sévèrement par Alfred Caron (voir O. M. n° 124 p. 52 de janvier 2017), Emilio Sagi a pris le parti résolu de l’antimoderne et de l’antimode. L’œil peut s’en réjouir – un peu moins, d’abord, pour ce qui se passe sur scène, avec un jeu daté, chant à la rampe et poses avantageuses face au public.
Le plateau reprend, pourtant, vite la main, d’emblée dominé par une Salome Jicia éblouissante : abattage irrépressible, justesse dramatique intense, aigus triomphants, parfait legato, impeccable vocalisation, superbes phrasés, gestion remarquable, aussi, des forces supérieures que demande sa redoutable partie, jusqu’à un magistral « Caro padre, madre amata ». Malgré une notoriété jusqu’ici moindre, de quoi prendre le relais de la Donna Fiorilla de Cecilia Bartoli !
Giulio Mastrototaro dessine, avec un métier confirmé et une connaissance approfondie du rôle de Don Geronio, un mari mi-jaloux, mi-complaisant, tantôt résigné, tantôt révolté. Le canto sillabato est impeccable et, échauffement aidant, il vient heureusement à parité avec sa partenaire, à partir du pétillant duo « Per piacere alla signora ». Plus inquiétant à son entrée, Luis Cansino assure, assez vite, un Selim d’une tranquille et inébranlable solidité, avec ce qu’il faut de rouerie pour mettre le public de son côté.
On est surpris, d’abord, par le jeune et bouillant Prosdocimo de Mikhail Timoshenko, moins idiomatique, et couvrant un peu trop inlassablement les pages de son carnet de notes. Il convainc, pourtant, par un engagement vocal le hissant au premier rang, notamment pour le très brillant trio « Un marito scimunito ! ».
Seules petites ombres au tableau : le Don Narciso de Francisco Brito, au timbre séduisant de tenorino et vif acteur, mais à la ligne et à la justesse parfois incertaines ; l’Albazar trop clair et haut perché de Pablo Plaza ; et, surtout, la Zaida de Marion Jacquemet, dont la voix assez ingrate, à la technique limitée, ne lui permet pas, malgré sa bonne volonté, de poser un personnage crédible.
Une fois franchie la barrière de la difficile partie de cor de l’Ouverture, l’Orchestre de Chambre de Lausanne brille, non moins que le sonore Chœur de l’Opéra de Lausanne et le spirituel pianoforte de Marie-Cécile Bertheau, sous la baguette, aussi précise qu’irrésistiblement entraînante, de Michele Spotti.
Ce Turco in Italia qui, au début, offrait un certain charme, gentiment désuet, achève, ainsi, de devenir plaisir certain.
FRANÇOIS LEHEL