Opéras Un Tannhäuser post-apocalyptique à Karlsruhe
Opéras

Un Tannhäuser post-apocalyptique à Karlsruhe

30/04/2024
Pauliina Linnosaari (Elisabeth) et Armin Kolarczyk (Wolfram von Eschenbach). © Felix Grünschloß

Badisches Staatstheater, 13 avril

Vera Nemirova n’en est pas à son premier Tannhäuser. Le précédent avait été conçu pour Francfort, en 2007 (voir O. M. n° 17 p. 48 d’avril) ; travail avec lequel cette nouvelle production, cette fois pour Karlsruhe, garde d’assez nombreux points communs, en particulier une figuration relativement abondante.

À Francfort, il s’agissait d’un groupe de jeunes campeurs plutôt mystiques, quoique tentés par d’évidentes pulsions charnelles, leur baignade en pleine nature tournant, ensuite, à l’orgie sexuelle. À Karlsruhe, le même genre de pantomime se reproduit, pendant l’Ouverture, toujours jouée dans sa version originale ; mais, cette fois-ci, la dimension écologique s’efface, au profit d’une ambiance post-apocalyptique.

Plusieurs tas de décombres, constitués de multiples instruments de musique plus ou moins cassés, jonchent le sol, autour de la pièce d’eau centrale. Les vêtements, rapidement enlevés, mais pas jusqu’à la nudité intégrale – projet initialement envisagé –, sont ceux de citadins anonymes en errance, hommes et femmes de tous âges et physiques, qui se mêlent ensuite en une orgie, à nouveau relativement explicite.

L’acte I s’avère plus timide, Venus, sorte d’amazone itinérante, semblant avoir provisoirement échoué là, avec son escorte et ses bagages, le temps d’écouter la sérénade que lui donne un Tannhäuser nanti, à défaut de harpe, d’une guitare folk. Les Minnesänger, ensuite, aux allures de sextuor chantant, façon Comedian Harmonists, sont plus originaux.

De même qu’au II, une Elisabeth cheffe d’orchestre, arrivant partition sous le bras, en vue de diriger, depuis son petit podium, toutes les interventions du concours, dans une salle des fêtes dévastée par une guerre, qui a presque tout détruit. Costumes modernes, invités mondains prenant la pose, discours, chopes de bière, l’ambiance reste gentiment caricaturale, avant de tourner à un curieux simulacre religieux, qui transforme Elisabeth en madone.

Au III, heureusement, cet éparpillement cesse, au profit d’une vraie conduite dramatique. Le plafond à caissons, percé d’un trou d’obus, déjà présent au II, descend maintenant au plus bas, rendant l’ambiance du « Récit de Rome » oppressante. Elisabeth périt dans les bras de Wolfram, qui lui chante la « Romance à l’étoile » comme un ultime hommage, avant de l’étrangler.

Et puis, surtout, il y a cette sublime image finale : le plafond remonte lentement, le chœur entre sur toute la largeur du fond, et se saisit des instruments restés épars un peu partout, reformant, dès lors, un orchestre complet, dirigé par une Elisabeth ressuscitée. C’est, somme toute, la culture qui triomphe de l’apocalypse – un propos peut-être naïf, en apparence, mais qui résonne avec une acuité toute particulière, voire bouleversante, dans notre actualité du moment.

Composée, à l’exception du rôle-titre, de membres de la troupe de Karlsruhe, la distribution est d’un niveau exceptionnel – ce qui fait d’autant plus regretter que Vera Nemirova n’ait pas cherché davantage à perfectionner son jeu scénique, souvent d’une telle maladresse qu’il aurait mieux valu bannir cette profusion de mimiques et de gestes appuyés, dignes, au mieux, d’un vaudeville, au profit d’une prudente sobriété.

Vocalement, tout est superbe, y compris le Tannhäuser de Michael Weinius, d’abord pas au mieux de sa forme, mais dont le « Récit de Rome » captive par ses couleurs sombres. Du côté des clés de fa, le Landgrave de Konstantin Gorny et le Wolfram d’Armin Kolarczyk, « piliers » de la troupe, sont toujours d’une santé vocale aussi indiscutable.

Une fermeté du timbre et une projection impressionnante, qui sont aussi partagées par l’émouvante Elisabeth de Pauliina Linnosaari et, surtout, la Venus de Dorothea Spilger, incarnation tantôt voluptueuse, tantôt virulente, en tout cas grandiose.

Avec des seconds plans parfaits et un chœur valeureux – même s’il ne chante pas toujours très juste, et parfois se décale, quand il est trop dispersé, au II –, Georg Fritzsch, directeur musical de la maison, veille à garder à l’ensemble une allure aussi vigoureuse que riche en détails intéressants.

LAURENT BARTHEL

Pour aller plus loin dans la lecture

Opéras Le Ring débute dans la jubilation à Munich

Le Ring débute dans la jubilation à Munich

Opéras Début de remake du Ring à Milan

Début de remake du Ring à Milan

Opéras Jean-Marie Machado mélange les genres et les langues à Rennes

Jean-Marie Machado mélange les genres et les langues à Rennes