De Nationale Opera, 13 octobre
Avec ses images fortes et sa direction d’acteurs affûtée, cette nouvelle production de Peter Grimes, respectueuse du livret et de la musique, sans jamais basculer dans l’illustration plate ou redondante, fait honneur au DNO d’Amsterdam. Certes, elle ne cloue pas le spectateur dans son fauteuil, comme celle de Deborah Warner, vue à Madrid, Londres, Paris et Rome, entre 2021 et 2024 (voir, en dernier lieu, O. M. n° 190 p. 62 de mars 2023). Mais elle manifeste tant de probité, d’intelligence et de flair, que l’on sort de la salle habité par un profond sentiment de satisfaction.
Le décor, à la fois réaliste et abstrait, joue la carte de la sobriété : un cadre indéterminé, même si les costumes renvoient à une époque proche de la nôtre, borné par des murs de planches grises. Une barque, des conteneurs en polystyrène pour le poisson et des cirés de pêcheurs multicolores s’y intègrent, pour la première scène en extérieur. Des éléments amovibles (plates-formes, rideaux, croix lumineuse) viennent, ensuite, dessiner d’autres espaces : le pub, l’église, la cabane de Grimes, posée en hauteur…
Les projections, que la metteuse en scène Barbora Horakova Joly utilise toujours au moment opportun, sont superbes. Ainsi de ces crabes et poissons morts qui, pendant le sublime quatuor féminin du II, s’enfoncent lentement dans les flots, dans un nuage évoquant aussi bien des bulles que du plancton.
Au rayon des réussites visuelles, on signalera, encore, la destruction de la cabane, planche après planche, par les villageois, et, surtout, le dernier tableau, d’une poésie poignante. Sur le plateau vide, Grimes chante son monologue sous trois barques, suspendues verticalement, à l’intérieur desquelles flottent les images des apprentis morts. Une est encore vide… Puis, sur le dernier accord de la partition, un petit esquif descend des cintres, en surplomb des chœurs, où le héros et son dernier apprenti sont assis face à face.
Si la plupart des mises en scène du premier chef-d’œuvre de Britten se concentrent sur le personnage principal, Barbora Horakova Joly s’attache à Ellen Orford, dont elle brosse un portrait particulièrement fouillé sur le plan psychologique. La soprano sud-africaine Johanni van Oostrum, il est vrai, semble née pour incarner le rôle, avec un physique idéal, doublé d’un rayonnement vocal qui fait d’« Embroidery in childhood », émaillé de piani aériens dans l’aigu, le sommet émotionnel de la représentation.
Peter Grimes n’est pas négligé, pour autant, et Issachah Savage, parfait en colosse aux pieds d’argile, lui confère un puissant relief. La voix du ténor américain est, évidemment, celle d’un Bacchus (Ariadne auf Naxos) ou d’un Empereur (Die Frau ohne Schatten), entendus tous les deux, à Toulouse : centrale, avec un aigu massif, quoique capable de subtils allégements. Mais, on le sait depuis Jon Vickers, le rôle, écrit pour l’instrument tellement plus clair et haut placé de Peter Pears, s’accommode très bien de ce type de vocalité.
Le reste de la distribution est sans faiblesse, et le chœur du DNO, impeccablement préparé par Edward Ananian-Cooper, sonne glorieux.
La direction de Lorenzo Viotti, enfin, surprend par sa retenue. À la tête d’un brillant Nederlands Philharmonisch, le chef suisse, dans les paroxysmes, ne déchaîne pas suffisamment son orchestre, à notre goût. Il est, en revanche, miraculeux de souplesse et de transparence dans les moments d’élégie.
RICHARD MARTET