Kennedy Center, 24 & 25 mai
La saison du Washington National Opera s’est achevée sur une stimulante production de Turandot, dotée d’un nouveau finale, en création mondiale, commandé au compositeur américain de musiques de films et de jeux vidéo Christopher Tin (né en 1976), sur un texte retravaillé par la scénariste de cinéma et de télévision Susan Soon He Stanton.
Les deux dernières représentations offraient la possibilité d’entendre la distribution principale, le lendemain des doublures de Turandot et Calaf. Et les deux interprètes du rôle-titre se sont avérées impressionnantes, et dignes d’être écoutées.
Pour sa seule soirée de la série, Marjorie Owens offre un chant remarquablement nuancé, tant sur le plan du texte que de la musique, tandis qu’Ewa Plonka déploie une sonorité d’acier, émise avec assurance – peut-être pas des plus agréables pour l’oreille, mais très efficace. Elle rayonne sur des aigus longuement tenus, et fait preuve d’une maîtrise de la gestuelle sémaphorique, évoquant presque Fiorenza Cossotto.
Le 24 mai, Masabane Cecilia Rangwanasha révèle une voix glorieuse de lirico spinto et une présence très sympathique. Si son timbre, encore un peu fragile, en termes d’intonation et de phrasé, n’a pas la même fraîcheur, le lendemain, elle remporte une énorme ovation, comme c’est, inévitablement, le cas pour Liù.
Bien que frénétiquement applaudi, lui aussi, Yonghoon Lee, le Calaf de la première distribution, est assez épouvantable – inaudible dans ses phrases les plus graves, trahissant l’effort pour produire un son forcé et laid dans les forte, esquissant des piani à la texture de papier de verre, et terminant presque rauque, dans l’exigeant finale de Christopher Tin. À tous points de vue, Jonathan Burton se montre supérieur, avec une émission finement graduée, aux si bémol et contre-ut assurés.
La détérioration de la voix de Yonghoon Lee, due à une approche malavisée du répertoire dramatique, pourrait servir de leçon de prudence à Ethan Vincent, baryton lyrique talentueux, qui, en Ping, alterne de belles phrases avec des passages avalés et saccadés.
L’orchestre joue somptueusement, tant pour Aaron Breid, le 24 mai, que pour Speranza Scappucci, le lendemain. Le premier suit les tempi particulièrement lents que la cheffe italienne adopte dans les sections les plus calmes de la partition, qui perdent presque tout élan. Cela dit, les climax rapides sont exaltants.
Les choristes – dont le statut, dans le spectacle, rempli d’allusions bien-pensantes, de Francesca Zambello, passe des Ouïghours persécutés aux victimes du trafic sexuel, et des émigrés déplacés au public assoiffé de sang des décapitations princières – sont très performants.
Certaines des idées de la metteuse en scène américaine – comme le fait que le cercueil de la princesse Lou-Ling fasse partie des rites déployés dans le tableau des énigmes – sont très efficaces. Surtout à la lumière du livret de Susan Soon He Stanton, pour le nouveau finale, qui amène Turandot à exposer, de manière convaincante, son propre statut de survivante d’une agression sexuelle.
Mais Francesca Zambello se laisse aller à ses touches trop familières de « spectacle de vacances » : elle fait défiler le beau chœur d’enfants et les danseurs munis de drapeaux, pour augmenter le facteur « showbiz ». Et les décors fournissent une nouvelle itération de l’obsession actuelle pour les assemblages, acoustiquement douteux, de plusieurs niveaux de clôtures et d’escaliers métalliques.
Bien que les surtitres éliminent scrupuleusement toute mention de la Chine, le costume initial de Turandot, semblable à celui d’un commissaire de guerre, et la chorégraphie insistante – bien exécutée, mais omniprésente –, laissent peu de doute quant à la spécificité de la référence géographique.
À quelques jours de son 75e anniversaire, Neil Shicoff évoque encore, en grande partie, sa puissance coutumière et son engagement intense, en Altoum. Dans cette version, le frêle empereur s’effondre à la fin du II, laissant le public applaudir ce climax musical, tandis que le ténor vedette, aujourd’hui vétéran, mime un arrêt cardiaque ; un message un peu contradictoire, mais qui s’accorde à la conception du nouveau finale, placé sous le signe d’« une nouvelle aube pour Turandot ».
La partition de Christopher Tin conserve quelques bribes d’Alfano – comme sur « Il suo nome è… Amor ! » –, et s’avère agréable, à la manière d’une musique vibrante de film hollywoodien. Son univers sonore convient certainement mieux à l’opéra de Puccini que celui de Luciano Berio, et tant Marjorie Owens qu’Ewa Plonka relèvent ses défis avec exultation.
DAVID SHENGOLD