Opéras Un grand Simon Boccanegra à Paris
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Un grand Simon Boccanegra à Paris

26/03/2024
Ludovic Tézier (Simon Boccanegra) et Mika Kares (Jacopo Fiesco). © Opéra National de Paris/Vincent Pontet

Opéra Bastille, 12 mars

Inscrit bien tard, en 1978 seulement,au répertoire de l’Opéra National de Paris, Simon Boccanegra en est désormais à sa quatrième production. Signée Calixto Bieito, elle avait, au moins, marqué, lors de sa création, en novembre 2018 (voir O. M. n° 146 p. 52 de janvier 2019), par la présence de Ludovic Tézier dans le rôle-titre.

Pour sa première reprise, le spectacle demeure, inchangé, regard au scalpel posé sur les ressorts politiques et humains d’une intrigue qu’on sait particulièrement alambiquée, mais diablement opératique. S’est-on suffisamment approprié l’immense et unique objet scénique, imposante étrave de paquebot à moitié dépecée, évoquant irrésistiblement l’idée d’une cale sèche, ou la troupe d’aujourd’hui, plus unitaire, plus capable d’émotion aussi, l’a-t-elle parfaitement apprivoisée ?

Toujours est-il que le spectacle laisse désormais plus de place à l’action, qu’elle soit projetée en noir et blanc sur le fond et les tôles galbées du géant des mers, dans les corps ou les visages hypertrophiés de Simon Boccanegra, de sa bien-aimée perdue et des autres protagonistes, ou sur le plateau nu, où ces humains imposent leur stature par leur chant.

Triomphateur premier, en 2018, quoique pas encore majuscule, en un rôle pas totalement mûri, Ludovic Tézier y paraît, cette fois, à son plus fascinant. La voix au zénith absolu, le timbre en majesté, les éclats et les intériorités, percutants ou murmurés, expriment les contradictions du Doge, en s’ajoutant à une présence d’acteur investi, qui devient point focal pour l’attention du spectateur.

Impossible, en effet, de se détacher de cette incarnation captivante, dont tout dit le « monstre sacré » du chant verdien que le baryton français est devenu, peu à peu, et le personnage multiple qu’il a totalement fait sien, désormais.

Mais cette fois, il n’est pas seul. Amelia Grimaldi prend les traits de Nicole Car, qu’on a connue toujours probe, sympathique, mais souvent sans défonce. Elle est, ici, portée par un soprano à la Gundula Janowitz, droit et net, aux aigus francs, habités de couleurs bien variées, au médium chaleureux, aux graves élégants, pour des airs prenants, des confrontations emportées, et des ensembles qu’elle domine d’une projection étonnante, mais non démonstrative.

Il en va de même pour Charles Castronovo, qui ne sera jamais le ténor le plus extraverti de l’époque, mais expose des nuances, des raffinements, des élans poétiques, et des déchirements qui le font le plus attachant des Gabriele Adorno, crédible et séduisant.

Comme Ludovic Tézier, Mika Kares était de la première distribution, noir déjà de timbre et ample de son, caractéristiques qui ont gagné en puissance, en expression, en assurance. Son Jacopo Fiesco est désormais intense, vibrant, et capable d’empathie.

Dernier protagoniste majeur, le Paolo Albiani d’Etienne Dupuis nuance magnifiquement un rôle qu’on hurle trop souvent, et construit un méchant sbire, d’emblée marqué par son destin, rageur mais impuissant.

Dans la fosse, Thomas Hengelbrock veille à susciter un Verdi raffiné, ce qui n’exclut pas l’impact choral formidable de la scène du conseil, somptueusement dominée par les troupes d’Alessandro Di Stefano, chef adjoint des Chœurs de l’Opéra National de Paris.

Thomas Hengelbrock s’attache, surtout, à la vibration émue de cette partition, où les rapports humains se révèlent avec une délicatesse mélodique, à la séduction la plus absolue. Du grand Verdi, tout simplement.

PIERRE FLINOIS

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