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Un Enlèvement en français « Ancien Régime » à Versailles

06/06/2024
Michel Fau (Sélim) et Florie Valiquette (Constance). © Pascal Le Mée

Opéra Royal, 26 mai

On voudrait être encore plus enthousiaste pour cette entreprise passionnante, proposée par Château de Versailles Spectacles, en coproduction avec l’Opéra de Tours, car le précédent de Bastien & Bastienne en français n’était pas totalement convaincant (voir O. M. n° 198 p. 91 de décembre-janvier 2023-2024). Paradoxe supplémentaire, avec le « Singspiel » Die Entführung aus dem Serail – devenu, ici, L’Enlèvement du sérail –, dont on sait que Mozart en faisait l’étendard de sa reconquête germanique de l’opéra.

Pourtant, le choix très judicieux de la traduction réalisée par Pierre-Louis Moline, en 1799, sonne juste, astucieusement rimée pour les parties chantées, et apportant même une sorte de parfum « Ancien Régime », qui n’est pas sans charme, bien qu’en arrondissant souvent les angles, comme d’un jeune lion auquel on a enlevé ses griffes.

La production est tenue par les très séduisants décors d’Antoine Fontaine, faisant succéder un salon profond, donnant sur le Bosphore, à la muraille extérieure du palais du Pacha, où s’ouvrent quatre portes mauresques aux arcs outrepassés. Et l’on s’émerveille de cette virtuose accélération de la perspective du salon, au III, par un abaissement du plafond, en même temps que les châssis latéraux rétrécissent l’espace, suscitant, très fortement, ce sentiment de claustrophobie, qui répond à la psychologie de Sélim, puis à l’effacement apparent de toute espérance pour les deux héros.

Moins convaincants, les costumes de David Belugou juxtaposent des figurines délicates de céramiques à la Meissen, pour Pédrille et Blonde,  surtout, qui y perdent un peu de leur substance, à un classique, mais très efficace Osmin, en redoutable brigand moustachu, à cuirasse ornementée. Beaucoup plus discutable, cette curieuse sorte de longue chemise de nuit rose, portée par Constance, qui contribue à priver le personnage, dans cette définition assez indécise, d’une partie de son caractère, en face d’un Sélim tout à sa sobre dignité princière.

Michel Fau donne une mise en scène très sage, répondant fidèlement à l’action, mais en service minimum, renonçant, par exemple, à faire jouer les chœurs, immobiles et strictement alignés face au public, ou baissant simplement le rideau, pour les airs de Belmont. Et avec un jeu d’acteurs, trop souvent, limité : pour les quelque dix minutes de la grande scène de Constance, au début du II, où elle reste à l’avant du plateau, à demi allongée sur le sol, tandis que Sélim siège, impassible, au fond de la salle.

On apprécie, pourtant, quelques moments plus inventifs, notamment pour le quatuor de la fin du II, où un jeu d’ombres projetées ajoute opportunément à l’intensité dramatique. Mais on regrette, surtout, que Michel Fau ait tenu à assurer, lui-même, le rôle parlé de Sélim, avec une voix haut perchée assez désagréable.

Au sein d’une distribution plutôt disparate, Pédrille et Osmin sont parfaits dans leurs rôles, classiquement conçus – Enguerrand de Hys, de timbre aussi approprié que pour son excellent Don Ottavio (Don Giovanni), en novembre dernier, sur la même scène, et Nicolas Brooymans, non moins en situation.

Si l’on admire le très remarquable travail de Mathias Vidal, en termes de nuances et de phrasé, son Belmont, à la diction exemplaire, ne se départ pas assez de l’emportement de son impétueuse entrée, avec une vigueur parfois proche du cri, qui limite la séduction du personnage.

Toujours vaillante et puissante, la Constance de Florie Valiquette nous laisse, pourtant, un peu perplexe. Les aigus de son périlleux « Martern aller Arten » (traduit en un plus faible « J’ai su te déplaire ») sont bien là, mais pas spécialement plaisants, les paroles restant largement incompréhensibles. Gwendoline Blondeel, enfin, donne une délicieuse Blonde, transparente et fruitée.

Avec les Chœur et Orchestre de l’Opéra Royal, en très belle forme, Gaétan Jarry assure l’efficace mise en place d’un solide « Kapellmeister », non sans une certaine sécheresse, soulignée par sa gestique nerveuse et insistante, qui s’attache à suivre la moindre articulation. Est-ce bien suffisant ? On en jugera, à nouveau, sur pièces, avec les CD et DVD annoncés, sous étiquette Château de Versailles Spectacles.

FRANÇOIS LEHEL

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