Opéras Un Don Quichotte original à Paris
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Un Don Quichotte original à Paris

29/05/2024
Etienne Dupuis (Sancho Pança) et Christian Van Horn (Don Quichotte). © Opéra national de Paris/Émilie Brouchon

Opéra Bastille, 10 mai

Pas d’espagnolades, dans cette nouvelle production de Don Quichotte (Monte-Carlo, 1910), signée Damiano Michieletto. Le chœur initial est invisible, rejeté derrière les murs d’un vaste salon contemporain – plafond bas, couleurs claires, sobre mobilier –, où le héros apparaît en écrivain, occupé à ses livres et à la rédaction de poèmes ou missives, qui jonchent le sol. Mais le rêve s’insinue très vite, quand les quatre soupirants rivaux sortent, comme par magie, des meubles, puis que la Belle Dulcinée apparaît sur l’un des trois grands chevaux de bois, qui évoluent lentement dans l’espace.

L’Espagne resurgira pourtant, plus loin, avec ces danseurs, silhouettes comme découpées dans le feutre noir, qui semblent naître des murs mêmes. Tantôt caressants, tantôt menaçants, pour la scène des moulins – sans moulins – du II, et devenant vraiment effrayants, quand s’y ajoute, toujours dans le salon, la projection d’une nuée de mouches, dont la tache va s’élargissant. Puis bandits, au III, non moins inquiétants.

Une ouverture, par l’élargissement simultané des bords d’une trouée centrale, approfondit magnifiquement l’espace initial, dans les très habiles décors dépouillés de Paolo Fantin, au profit d’un grand hall à la perspective biaisée, propice aux mouvements de foule (superbe bal du IV, réglé par Thomas Wilhelm), associés à plusieurs vidéos, évoquant les souvenirs de jeunesse du héros. À quoi s’ajoutent, enfin, les éclairages irréalistes d’Alessandro Carletti, jouant de résonances affectives, pour les verts pâles notamment, accompagnant tristesse et désarroi du Chevalier.

Jusqu’à un finale qui fait revenir au salon du I, concluant donc sur le thème plus classique du rêve, après, comme le dit Damiano Michieletto, « une journée dans la vie d’un homme seul », recréant son passé, que la transposition contemporaine, comme l’absence de connotations pittoresques, rendent d’autant plus proche de nous.

Un plateau vocal de premier ordre, avec trois prises de rôles marquantes, s’intègre quasi idéalement à la proposition originale de la scène. Inutile d’évoquer le souvenir de Samuel Ramey (septembre-octobre 2000) et de José Van Dam (janvier-février 2002), déjà à l’Opéra Bastille, desservis, l’un et l’autre, par la précédente production, signée Gilbert Deflo. Le Don Quichotte de Christian Van Horn est bien à lui, avec une prononciation presque parfaite, loin de tout histrionisme, et de jolies demi-teintes.

Capable de jouer la désinvolture – en sifflant brillamment, après la rédaction de son poème, au début du II –, le baryton-basse américain se montre très émouvant, au III, dans « Seigneur, reçois mon âme », et plus encore, peut-être, dans le tableau d’ouverture du V, entouré des silhouettes noires maléfiques. Il réussit, ainsi, l’équilibre de cette combinaison de doux-amer, qui fait l’une des spécificités de l’œuvre.

Avec une autorité souveraine, la mezzo française Gaëlle Arquez fait une entrée éclatante, dans les vocalises ibérisantes de l’« Alza ! Alza ! » de la Belle Dulcinée. Le baryton canadien Etienne Dupuis offre un Sancho Pança particulièrement touchant, sans une once de caricature, grandiose dans son air du II, avant la grande tirade (« Riez, allez, riez du pauvre idéologue »), où perce mieux encore l’autoportrait du compositeur lui-même. Et sans pathos superflu, pour autant, l’interprète donnant tout dans son poignant « Viens, mon grand ! ».

Tandis que les comprimari forment un groupe plus homogène que souvent, les Chœurs de l’Opéra National de Paris, d’une impeccable discipline, nous enchantent. Enfin, dirigeant un Orchestre aussi étincelant qu’il peut l’être, dans les pupitres solistes, en particulier, Patrick Fournillier retrouve, avec bonheur, l’autorité que lui confère, tout naturellement, sa longue familiarité avec la musique de Massenet.

Une des très belles réussites de cette saison.

FRANÇOIS LEHEL

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