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Un diptyque Stravinsky/Moussa réussi à Amsterdam

29/03/2024
Nazmiye Oral (La Narratrice) et Sean Pannikar (Œdipe). © Bart Grietens

De Nationale Opera, 17 mars

C’est un beau défi que s’est fixé le compositeur canadien Samy Moussa (né en 1984), et qu’il relève brillamment : concevoir une pièce pour compléter Œdipus Rex, en restant dans la même sphère narrative, mais en donnant aux chœurs féminins un rôle important, qui vient compenser leur absence dans l’œuvre de Stravinsky.

Jocaste s’est pendue, Œdipe a quitté Thèbes… Voici donc, sur un livret en grec ancien, dû à Samy Moussa, lui-même, Antigone, présentée ici comme « oratorio » – mais que l’on aurait pu, tout aussi bien, nommer « pièce symphonique avec chœurs », puisque, si l’on voit réapparaître certaines figures d’Œdipus Rex, comme Tirésias ou Créon, ils n’ont plus de partie soliste à chanter. Quant aux personnages nouveaux, les enfants d’Œdipe et Jocaste (Antigone, évidemment, et les frères ennemis Étéocle et Polynice), ils sont incarnés par des danseurs.

Si Antigone échappe aux classifications, l’ouvrage se distingue, en une demi-heure à peine, par la sobriété efficace de son livret, qui sait se contenter de l’essentiel. Mais aussi, et surtout, par la puissance d’une partition soyeuse et séductrice, tant dans sa composante orchestrale que dans sa dimension chorale, et qui s’inscrit, tout à la fois, dans la tradition des grands symphonistes, et dans la frange la plus accessible de la musique d’aujourd’hui.

Après le retrait, un mois avant la première, de Wayne McGregor, chargé de mettre en scène cette double affiche, sous le titre global de Jocasta’s Line, le spectacle aurait pu tourner au fiasco. Il n’en est rien, bien au contraire. Et cette réussite témoigne des capacités d’adaptation et de résilience des troupes du Nationale Opera & Ballet – la collaboration parfaite des forces musicales et chorégraphiques étant, ici, déterminante.

Avec des expériences, l’un dans le théâtre musical, et l’autre comme chorégraphe, Mart van Berckel et Nanine Linning n’ont eu, précise-t-on, qu’une heure pour accepter de relever le gant. Mais ils sont les premiers à reconnaître que cette urgence leur a permis d’éviter un excès de réflexion et une forme de sur-mise en scène, qui en découle parfois.

Effectivement, tout, dans ce spectacle, va à l’essentiel. Les deux actions s’organisent dans un même décor minimaliste – des pans de murs de grandes pierres, droits ou recourbés, qui tournent sur un plateau central, permettant aux protagonistes de disparaître et réapparaître très vite –, mais avec d’impressionnants costumes et de formidables lumières. Et, surtout, pour les deux pièces, une direction d’acteurs très précise, y compris pour les chœurs, qui se déplacent et interagissent avec une plasticité remarquable.

Sans doute le public international de l’« Opera Forward Festival » du DNO se serait-il bien passé du rôle de la Narratrice (en néerlandais) d’Œdipus Rex, confié à l’actrice Nazmiye Oral, tant la mise en scène est suffisamment lisible pour rendre inutiles ces didascalies parlées… Mais on présume que les soucis de pédagogie et d’inclusivité, qui inondent The Shell Trial (voir ci-dessus), ont quelque peu débordé jusqu’ici.

Hormis la Jocaste plutôt décevante de la mezzo britannique Sarah Connolly – graves insuffisamment projetés et aigus parfois incertains –, le plateau des solistes de l’« opéra-oratorio » de Stravinsky est remarquable, qu’il s’agisse de l’Œdipe, à la fois sonore et lyrique, du ténor américain Sean Panikkar, du Créon de bronze du baryton néerlandais Bastiaan Everink ou du Tirésias incandescent de la basse polonaise Rafal Siwek.

Très belle direction musicale d’Erik Nielsen qui, à la tête du Nederlands Philharmonisch Orkest, exhale toute la puissance expressive des deux partitions. Et prestation exceptionnelle des chœurs maison, préparés par Edward Ananian-Cooper.

NICOLAS BLANMONT

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