Opéras Un Boris Godounov frustrant à Toulouse
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Un Boris Godounov frustrant à Toulouse

07/12/2023
Alexander Roslavets (Boris Godounov). © Mirco Magliocca

Théâtre du Capitole, 29 novembre

Olivier Py a indiqué que sa motivation première de monter Boris Godounov était son envie de retravailler avec Matthias Goerne, héros de son Mathis der Maler, à l’Opéra National de Paris, en novembre 2010 (voir O. M. n° 58 p. 55 de janvier 2011). Encore annoncé en début de saison, celui-ci a, cependant, dû annuler… Une des raisons, peut-être, de ce spectacle un peu déconcertant, nouvelle production de l’Opéra National du Capitole.

La scénographie de Pierre-André Weitz, très bien éclairée par Bertrand Killy, affiche, en ouverture, une sorte de grille frontale, qui se précisera comme façade d’immeubles austères de la période soviétique. Elle s’ouvre bientôt, de façon spectaculaire, sur ce qui est, en fait, l’un des côtés de grands praticables à plusieurs faces, pivotant impeccablement, pour offrir à l’œil ébloui la superposition de trois galeries à arcades dorées, sorte d’iconostase évoquant la période des tsars et abritant l’assemblée des boyards, aux somptueux costumes également dorés. Un tissage entre le passé et le présent, donc, plutôt qu’une franche actualisation, malgré les uniformes contemporains des soldats, qui contiennent la foule d’un peuple misérable.

Olivier Py explique bien ces choix, qui, sur le papier du moins, semblent se justifier : on ne peut représenter Boris Godounov sans parler de la Russie, donc du pouvoir moscovite, et de la continuité dictatoriale qui s’est affirmée, des tsars à Staline, et à Poutine même. D’où cette descente des cintres, au milieu du cinquième tableau, d’un grand panneau où est dessiné, avec une maladresse naïve  – qu’on espère voulue – un face-à-face entre Poutine et Staline ! Sauf que l’assimilation avec le tsar devient visuellement schématique, et que le didactisme du propos vient alors en hiatus avec la personnalité même du seul rôle-titre, qui fait, tout de même, le cœur de l’œuvre.

Pour le reste, et pour surmonter les grandes difficultés de cette version première de 1869, ses très longs récits et son action passablement chaotique, Olivier Py a décidé, d’une part, de faire réapparaître périodiquement le tout jeune tsarévitch Dimitri, ainsi que les personnages trop épisodiques, à commencer par celui de Grigori, qui usurpera l’identité de Dimitri. Et, d’autre part, d’illustrer les scènes mentionnées dans les longues tirades, comme, par exemple, l’assassinat du petit Dimitri, quand Pimène l’évoque dans sa chronique ; ou encore la figure d’Ivan le Terrible, dont Grigori revêt alors les habits… Aux dépens de la force d’impact de l’ensemble.

À côté de plusieurs superbes tableaux, jusqu’au splendide embrasement final de la forêt de bouleaux, ayant servi auparavant de fond de décor ou de rideau de scène, on regrette, aussi, des partis pris beaucoup plus discutables, handicapés par ce qui devient alors la complication inutile des décors. L’ensemble, par moments très inventif et séduisant, reste donc globalement frustrant.

Une partie musicale de haut niveau compense largement. Elle est dominée par le Boris d’Alexander Roslavets, voix jeune et saine, puissamment émise et au timbre homogène, autant qu’excellent acteur, qui parvient à l’émotion. Le contraste est parfait avec le beau Pimène de Roberto Scandiuzzi, basse plus sombre et profonde.

Réussite que l’inénarrable Innocent de Kristofer Lundin, qui traverse périodiquement la scène en jupette. Et succès pour l’impétueux Grigori d’Airam Hernandez, le travesti étonnamment crédible du Fiodor de Victoire Bunel, et les irréprochables Nourrice de Svetlana Lifar et Tchelkalov de Mikhail Timoshenko.

L’Aubergiste, à l’alto certes haut en couleur, de Sarah Laulan, comme la toute jeune Xénia de la soprano Lila Dufy, encore fragile et pas parfaitement juste, marquent moins. De même que le Varlaam très correct, mais excessivement caricaturé, de Yuri Kissin, et le Chouïski vocalement parfait, quoique d’une duplicité scénique trop pâle, de Marius Brenciu.

Dirigeant l’œuvre pour la première fois, Andris Poga fait briller l’Orchestre National du Capitole et l’excellent Chœur, préparé par Gabriel Bourgoin. On regrette d’autant plus que le spectacle ne soit pas toujours à ce niveau. Des corrections et améliorations sont-elles possibles ? On en jugera, lors de la reprise, au Théâtre des Champs-Élysées, du 28 février au 7 mars, pour laquelle Matthias Goerne est toujours annoncé.

FRANÇOIS LEHEL

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