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Un Bal masqué musicalement enthousiasmant à Valence

02/05/2024
Franco Vassallo, de dos (Renato) et Anna Pirozzi (Amelia). Miguel Lorenzo/Mikel Ponce/Les Arts

Palau de les Arts « Reina Sofia », 21 avril

Sans en partager toutes les options, trois précédentes réalisations – Il barbiere di Siviglia et Tosca, à Montpellier, Orlando de Haendel, à Peralada – nous avaient convaincu que Rafael R. Villalobos était un metteur en scène à suivre. D’où ce voyage à Valence (Valencia), pour y découvrir sa nouvelle production d’Un ballo in maschera.

Notre impression d’ensemble, avouons-le, est mitigée. Le décor, unique, est délibérément laid : une vaste pièce aux murs d’un gris sale et au plafond défoncé, d’où pendent quelques néons. Au premier tableau du I, un bureau et des téléviseurs déglingués, posés sur le sol, évoquent le « palais » du gouverneur du Massachusetts. À l’acte II, dit « du gibet », ils sont remplacés par une vieille guimbarde blanche et un pylone électrique rouge.

Beaucoup de déjà-vu, donc, y compris dans d’autres mises en scène de l’ouvrage, entre décharge publique, dirigeant politique scruté par les caméras de télévision, complets-vestons pour les messieurs et robes de tous les jours pour les dames. À la longue, l’effet obtenu devient lassant, surtout quand il entre en contradiction avec la musique. Ainsi de cette Amelia en jean et de ce Riccardo en blouson noir, se déclarant leur amour dans un « campo » certes « orrido », mais insupportablement trivial, en l’absence de toute référence à l’atmosphère gothique romantique du livret.

Sans vraiment compenser, car éparpillées de manière trop brouillonne, quelques bonnes idées se détachent, à commencer par l’exploitation des panneaux coulissants, à l’arrière-plan. D’un dressing dévoilé sur la gauche, une jeune fille en nuisette noire vient ainsi, pendant le Prélude de l’opéra, extraire un costume masculin, qu’elle endosse pour incarner Oscar – un intelligent moyen de jouer sur l’ambiguïté sexuelle du page.

Puis, au début du deuxième tableau du I, une pièce apparaît sur la droite, avec une diseuse de bonne aventure, tout de blanc vêtue, assise à une table. Sauf que, surprise, elle ne chante pas ! Car c’est un membre de l’entourage du gouverneur, resté sur place, au moment du changement de tableau, que l’on entend : la mezzo-soprano Agnieszka Rehlis, en complet-veston, comme les autres « courtisans ».

Le fait que Riccardo et Amelia s’adressent tantôt à elle, tantôt à son double muet (la spectaculaire comédienne et mannequin de couleur Anaïs Doménech), qui troque rapidement sa tenue de voyante pour un jean et un blouson de cuir, entretient un doute dans l’esprit du spectateur. Qui est exactement Ulrica ? Fait-elle partie du complot ? Et même, existe-t-elle vraiment ? Tout est possible dans cet opéra des travestissements et des faux-semblants.

Au crédit de Rafael R. Villalobos, on portera, encore, une direction d’acteurs vivante et variée, en particulier dans la gestion des masses, avec des entrées et sorties impeccablement réglées, et d’intéressantes interactions entre les choristes. Cela nous vaut, au III, un bal masqué réussi, avec des mouvements fluides, des costumes bien assortis, de beaux éclairages rouges, atténuant la laideur du décor, et une Ulrica revenant, en toute logique, contempler l’issue de la tragédie.

Aux saluts, le public de cette première représentation ne s’y trompe pas : la production reçoit un accueil mitigé, pour ne pas dire indifférent, sans vraies protestations, ni ovations, contrairement à l’exécution musicale, qui soulève un extraordinaire – et légitime – enthousiasme.

Chaque fois que nous l’avons entendu, Antonino Fogliani nous a fait bonne impression. Mais nous ne le croyions pas capable d’un tel accomplissement, dans l’un des opéras de Verdi les plus difficiles à diriger. Dosant à la perfection tragédie et comédie, sachant ralentir, quand il le faut, des tempi globalement rapides, le chef italien livre une lecture tour à tour haletante et élégiaque, avec un sens impressionnant de la progression dramatique.

L’Orquestra de la Comunitat Valenciana n’a rien perdu de ses qualités depuis ses premières années d’activité, quand, entre 2006 et 2011, il était placé sous la responsabilité de Lorin Maazel et Zubin Mehta. La beauté et l’homogénéité du son, notamment chez les cuivres, soulèvent l’admiration, remarquablement mises en valeur par l’acoustique privilégiée du Palau de les Arts.

Le Cor de la Generalitat Valenciana n’appelle pas davantage de reproches, offrant un soutien exemplaire, dans les ensembles, à une distribution de haut vol. Commençons par les comprimari, avec une mention pour deux jeunes basses très prometteuses : le Géorgien Irakli Pkhaladze et l’Espagnol Javier Castañeda, en Samuel et Tom.

Marina Monzo, l’enfant du pays (elle est née à Valence, en 1994), est un ravissement. Sa voix fraîche et facile, son côté mutin, exempt de toute verdeur, sa puissance dans l’aigu, au-dessus des ensembles (éblouissant « È scherzo od’è follia »), en font l’un des meilleurs Oscar dont nous ayons gardé le souvenir.

Étoile montante au firmament des mezzo-sopranos, la Polonaise Agnieszka Rehlis, sans avoir, tout à fait, la profondeur dans le grave nécessaire, campe une somptueuse Ulrica : timbre riche et sombre, émission stable et homogène, jusqu’à un aigu d’une aisance décoiffante.

Le triangle amoureux est exclusivement italien. Remplaçant George Petean, initialement annoncé, pour toutes les représentations, Franco Vassallo n’en a ni la noblesse, ni l’élégance. L’instrument est solide, sonore, la présence scénique imposante, mais ce chant épais, incapable de descendre en dessous du mezzo-forte, cette manière de « beugler » dans le haut du registre et ce style emphatique appartiennent à une esthétique révolue.

Francesco Meli trouve en Riccardo, ténor lirico pas encore trop spinto, de tessiture assez centrale, l’un de ses meilleurs emplois verdiens. Sans être soumis aux tensions de Don Carlo, en décembre dernier, à la Scala de Milan, le timbre peut déployer tout son charme, et le phrasé toute sa séduction. Suffisamment pour faire passer au second plan le talon d’Achille de l’artiste : un extrême aigu limité, qui lui complique la tâche sur les si bémol de sa grande scène du III, avant le bal.

Entendre Anna Pirozzi en Amelia, enfin, a quelque chose de réconfortant. Sa voix d’authentique lirico spinto, au grave naturellement rond, au médium nourri et à l’aigu tranchant, se joue de tous les pièges d’un rôle meurtrier. Tout juste regrette-t-on, au II, un certain prosaïsme dans le phrasé d’« Ecco l’orrido campo », que fait oublier, au III, la conduite miraculeuse d’un « Morrro, ma prima in grazia » d’anthologie.

Preuve que la soprano italienne, sans posséder la splendeur de timbre d’Anna Netrebko, ni l’imagination dans l’accent de Sondra Radvanovsky, peut, quand elle le veut, faire jeu égal avec ses principales concurrentes actuelles dans ce répertoire !

RICHARD MARTET

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