Opéras Tragédie vénitienne à Florence
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Tragédie vénitienne à Florence

10/06/2022

Sala Zubin Mehta, 28 mai

Destinée en priorité aux concerts, la Sala Zubin Mehta permet, tout au plus, des spectacles en version semi-scénique. Pour cette nouvelle production d’I due Foscari, confiée à Grischa Asagaroff et son équipe, le plateau est partiellement délimité par des panneaux bleus, laissant apercevoir les gradins et boiseries acoustiques à l’arrière.

Pour tout décor, une structure quadrangulaire en bois, tournant sur elle-même de manière à représenter, tour à tour, l’intérieur du palais des Doges, la salle du Trône ou la prison de Jacopo Foscari, avant de devenir la tombe de son père (l’image reproduit le monument funéraire de Francesco Foscari, en l’église des Frari). Préservant l’acoustique somptueuse du lieu, le dispositif créé par Luigi Perego suffit à recréer la Venise sombre et mélancolique, où se déroule cette tragédie politico-familiale.

Si l’on finit presque par oublier l’exiguïté du plateau et l’absence de machinerie, c’est que Grischa Asagaroff, tout en déjouant les contraintes spatiales, se focalise sur la dimension intime du drame, aussi pauvre en péripéties que riche en émotions et conflits psychologiques. Aidé par les luxueux costumes de Luigi Perego, vaguement inspirés de la Renaissance, et par les subtiles lumières de Valerio Tiberi, l’ancien disciple de Jean-Pierre Ponnelle traduit les variations chromatiques des sentiments, évitant l’écueil de l’ambiance uniformément sombre que Verdi, lui-même, reprochait au livret de Piave.

En ce sens, la scène du carnaval, au début de l’acte III, servie par la chorégraphie légère et haute en couleur de Cristiano Colangelo, est traitée pour ce qu’elle doit être : une parenthèse de joie et d’insouciance. Mais c’est surtout au jeu des interprètes, à leurs gestes prégnants et habités, que Grischa Asagaroff donne du relief. Seul regret, davantage que l’inévitable statisme auquel il confine les chœurs (vocalement impeccables et presque surdimensionnés), le fait qu’il ne veille pas à canaliser l’ardeur d’un Jonathan Tetelman chauffé à blanc en Jacopo Foscari, approchant – voire dépassant – les limites du paroxysme. Ce qui confère, certes, une rare fougue au personnage, mais en écrase les aspects élégiaques.

Sans doute reviendrait-il aussi au chef d’orchestre de tempérer le volume sonore du jeune ténor, ce que Carlo Rizzi ne fait que partiellement, privilégiant une lecture énergique de la partition. Reste que, par-delà ses excès d’exubérance, Jonathan Tetelman relève du prodige. La beauté du timbre, la souplesse de l’émission, la solidité de la technique font merveille – seule la diction demeure perfectible.

À ses côtés, outre l’excellent Riccardo Fassi, qui campe un Jacopo Loredano d’une noirceur sadique, Maria José Siri incarne Lucrezia Contarini avec une vibrante force dramatique, portée par une voix puissante, riche en harmoniques, au médium corsé et à l’aigu insolent, à peine voilée par quelques instabilités dans l’émission, au I.

Que dire, enfin, de Placido Domingo ? À 81 ans, l’ancien ténor, toujours aspirant baryton, attendrit par la déchirante humanité de son Francesco Foscari, et impressionne par la solidité de son émission, faisant de ses limites actuelles (tessiture, souffle), des atouts dramatiques d’une incomparable efficacité. Chaque accent est un pur moment de théâtre, jailli du fond du cœur.

De quoi justifier la surprise couronnant cette soirée : le Prix International « Piero Cappuccilli » que Patrizia, la fille de l’illustre baryton italien (1929-2005), remet à Placido Domingo, au moment des saluts. Avant que le public ne déchaîne une ovation, gardant peut-être en mémoire cette façon si émouvante qu’avait l’artiste de dire « Addio… », lors du trio du II, comme un présage du jour tant redouté.

PAOLO PIRO


© MAGGIO MUSICALE FIORENTINO/MICHELE MONASTA

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