Opéras Tannhäuser simpliste à Hambourg
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Tannhäuser simpliste à Hambourg

04/05/2022

Staatsoper, 24 avril

Au Staatsoper de Hambourg, Tannhäuser est une affaire d’autant plus sérieuse que cette nouvelle production, confiée à Kornel Mundruczo, se substitue à un monument, inamovible pendant un quart de siècle, signé par le regretté Harry Kupfer.

Accueilli avec son équipe par une incroyable bronca, le cinéaste et metteur en scène de théâtre hongrois, assez récemment converti à l’opéra, a-t-il vraiment pris la mesure de la tâche qui lui incombait ? « Pour moi, la question la plus importante était de savoir ce que signifiait le Venusberg et qui Tannhäuser était en tant que personne », écrit-il dans le programme de salle. Sa réponse s’avère, malheureusement, assez simpliste, en même temps qu’elle occulte certains thèmes majeurs, comme la rédemption.

L’Ouverture promet pourtant beaucoup, grâce à une vidéo, projetée sur le décor, superposant le visage de l’antihéros endormi et des bribes de rêves, ou de cauchemars, que des plans très rapprochés rendent plus insaisissables encore. Le réveil est assez brutal, dans cette jungle luxuriante, où ce post-soixante-huitard a trouvé refuge avec Venus, dont il a manifestement eu une progéniture suffisamment nombreuse pour qu’elle se reproduise à son tour, et peuple ce coin de verdure.

La crise de la cinquantaine frappe, et voici Tannhäuser soudain pressé de quitter ce domicile à ciel ouvert, pour recouvrer sa liberté, malgré les pleurs de sa (petite-)fille. Les palmiers disparaissent comme par enchantement, pour laisser apparaître, depuis le lointain, un massif rocheux, aussi aride que le tableau précédent était saturé de vert. Les chasseurs ne tardent pas à faire leur entrée, équipés d’arcs dernier cri, avant que ne descendent des cintres des dépouilles de cerfs, dont la saignée rituelle marquera le retour de la brebis égarée par ses idéaux libertaires dans la civilisation conservatrice.

La distance ironique avec laquelle Kornel Mundruczo traite le tournoi de la Wartburg, rendez-vous mondain dont les invités se voient remettre chacun une tomate pour manifester leur désapprobation, ne suffit pas à donner une réelle consistance à une vision censément critique. Pas plus qu’un troisième acte où la roche s’est couverte de mousse, et où Elisabeth s’ouvre les veines au pied d’une source, avant un défilé de pèlerins portant des petites croix luminescentes vertes.

L’histoire de cet éternel insatisfait qu’est Tannhäuser, adolescent attardé en baskets Converse, et finalement indifférent aux enjeux d’un monde aux deux faces duquel il se soustrait, intéresse d’autant moins qu’une esthétique conforme aux standards devenus habituels se borne à appliquer un vernis superficiellement contemporain à une approche, somme toute, conventionnelle. Il n’est dès lors pas certain que ce spectacle fasse autant d’usage que celui qu’il remplace.

Quoique bien moins unanimement contestée, la direction de Kent Nagano est, elle aussi, accueillie par quelques manifestations de franche hostilité. Le Philharmonisches Staatsorchester de Hambourg n’est certes ni la Staatskapelle de Berlin, ni celle de Dresde, ni le Bayerische Staatsorchester de Munich, à la tête duquel le chef américain succéda à Zubin Mehta et précéda Kirill Petrenko. Et il n’a pas vraiment repris de couleurs depuis l’Elektra sans grand fracas de novembre dernier (voir O. M. n° 179 p. 37 de février 2022).

Kent Nagano, par ailleurs lancé dans l’aventure d’un Ring sur instruments d’époque, avec l’ensemble Concerto Köln, a, sans nul doute, mené sur la pulsation et le son wagnériens une réflexion qui le conduit à privilégier la clarté et la vivacité, sans négliger le brillant et la progression dramatique – qualités, à mon sens, préférables à l’emphase et à la soi-disant profondeur, prônées, au risque de la pesanteur, par les gardiens du temple autoproclamés.

Affaire de goût, assurément, comme l’est l’art singulier de Klaus Florian Vogt. Lohengrin frappé du sceau de l’évidence, Parsifal idéalement chaste et fol, le ténor allemand est-il pour autant, même dans l’éclat de sa pleine maturité, taillé pour Tannhäuser, abordé à Munich, en 2017 ? Ce timbre comme dépourvu d’assise corporelle – ce que l’ampleur de la projection contredit –, cette émission souvent fixe se heurtent, en effet, aux limites d’un phrasé qui ne s’anime que dans le « Récit de Rome ».

Le Wolfram de Christoph Pohl possède, à cet égard, davantage de ressources, baryton noble, porté vers la lumière, sans afféterie, ni artifice dans la « Romance à l’étoile », où tant d’autres ont pris la pose narcissique du récital. Mais la leçon de chant, d’autorité, de majesté, même, vient, une nouvelle fois, de Georg Zeppenfeld, luxe suprême en Landgrave.

Une fois stabilisé son mezzo avare de séduction, mais d’une percutante franchise dans la pleine pâte – et jusqu’au sommet du registre –, Tanja Ariane Baumgartner ne fait de Venus qu’une ardente bouchée. S’il n’est pas exempt de dureté, surtout quand le vibrato tend vers la trémulation, l’instrument de Jennifer Holloway, dont la source comme le souffle semblent intarissables, est mis tout entier au service d’une incarnation d’Elisabeth qui atteint, au troisième acte, une saisissante vérité.

La mort d’Elisabeth est l’un des trop rares moments où l’émotion est palpable, avec le chant du Jeune Pâtre, issu du Tölzer Knabenchor : Florian Markus, dont le trac frémissant n’altère ni la plénitude d’une voix à la pureté miraculeuse, ni l’instinct si artistement musical.

MEHDI MAHDAVI


© BRINKHOFF/MÖGENBURG

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