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Tancredi en version « amplifiée » à Rouen

27/03/2024
Marina Monzo (Amenaide) et Teresa Iervolino (Tancredi). © Marion Kerno/Agence Albatros

Théâtre des Arts, 14 mars

L’Opéra de Rouen Normandie a placé assez haut la barre, en dédiant à la mémoire d’Ewa Podles, disparue le 19 janvier dernier, cette production de Tancredi, créée au TOBS (Théâtre Orchestre Bienne Soleure/Theater Orchester Biel Solothurn), en octobre 2022 (voir O. M. n° 188 p. 63 de décembre-janvier 2022-2023). Il s’en faut, toutefois, de beaucoup que Teresa Iervolino atteigne le même niveau d’intensité, dans l’incarnation du héros éponyme, que son illustre devancière.

La mezzo italienne possède, incontestablement, le matériau vocal – grave large et bien timbré, belle extension dans l’aigu –, la technique et le style pour incarner ce rôle mythique, comme le montrent les dernières scènes, notamment celle de la mort de Tancredi, dans le finale tragique, où elle donne le meilleur d’elle-même. Mais elle laisse souvent une impression mitigée et paraît plus affectée, voire un rien maniérée, que véritablement engagée.

Marina Monzo offre à Amenaide une jolie voix, aux aigus flûtés, à laquelle on souhaiterait parfois un peu plus de couleur, quelques touches de clair-obscur et un phrasé plus varié. Si la soprano espagnole ne démérite jamais, son style serait sûrement plus adapté à Mozart qu’à Rossini. Les duos avec Tancredi rendent, néanmoins, justice à sa musicalité et son instrument s’unit, avec un certain bonheur, à celui de sa partenaire.

La belle surprise de la soirée reste l’Argirio de Santiago Ballerini, authentique ténor rossinien, dont l’émission claironnante, les aigus puissants et la technique accomplie compensent un léger déficit dans le registre grave. Malgré une allure plutôt juvénile, l’interprète campe, avec un relief exceptionnel, son personnage de père autoritaire et torturé.

On regrette, dès lors, que le ténor argentin se fourvoie dans des effets expressionnistes, qui le déstabilisent dans son grand air du II, au point qu’il en sort épuisé, et à bout de ressources pour son duo avec Tancredi – coupé dans la production originale, celui est, ici, rétabli, rallongeant inévitablement cet acte, et entrant en totale contradiction avec le grand coup d’épée, avec lequel le protagoniste mourant assassine le père coupable.

La basse géorgienne Giorgi Manoshvili est un solide Orbazzano, tandis que la mezzo française Juliette Mey, manquant parfois un peu de projection, se rattrape largement dans l’unique air d’Isaura, au II.

Le chœur Accentus, d’une magnifique homogénéité, et l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, aux pupitres solistes impeccables, donnent une lecture de belle tenue, sous la direction vigoureuse du chef grec George Petrou (remplaçant, quasiment au pied levé, Antonello Allemandi).

Transposés de la petite scène du Théâtre Municipal de Soleure au large plateau du Théâtre des Arts de Rouen, le décor et les costumes uniformément noirs de Pierre-Emmanuel Rousseau ont perdu un peu de ce caractère oppressant, qui faisait beaucoup pour le climat d’ensemble de la production.

Dans cette version « amplifiée », le metteur en scène français semble avoir voulu insister davantage, à travers les hommes d’armes du premier tableau et leur chef Orbazzano, à l’attitude uniformément menaçante, sur la brutalité masculine.

ALFRED CARON

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