Opéras Tancredi à Soleure, avant Rouen
Opéras

Tancredi à Soleure, avant Rouen

31/10/2022
© Suzanne Schwiertz

Théâtre Municipal, 12 octobre

C’est la version dite « de Ferrare » (21 mars 1813), avec son finale tragique et la mort du héros, que le TOBS (Théâtre Orchestre Bienne Soleure/Theater Orchester Biel Solothurn) a choisie pour cette nouvelle production de Tancredi, que l’Opéra de Rouen Normandie devrait accueillir, la saison prochaine.

Pierre-Emmanuel Rousseau installe l’action dans un Moyen Âge tardif, dominé par l’éclat des armures et la brutalité de la soldatesque. La religion, impitoyable, est omniprésente, sous la forme d’une grande croix et de prélats venus célébrer les noces d’Orbazzano et d’Amenaide, puis participer au jugement de cette dernière. Après sa condamnation, elle est déshabillée et tondue.

Dans cette vision très sombre, baignant en permanence dans un clair-obscur caravagesque, traversé de sporadiques trouées de lumière dorée, Pierre-Emmanuel Rousseau fait de Tancredi un personnage névrosé et violent, obsédé par la trahison (supposée) de son amante ; sa dernière rencontre avec elle devient quasiment une scène de folie. Une telle conception rejaillit évidemment sur le chant, notamment dans le cas du rôle-titre, confié à la jeune contralto italienne Candida Guida.

Sa voix, encore un peu verte, est malmenée par une recherche quasiment expressionniste de la caractérisation du personnage. Ses airs souffrent de nombreux problèmes d’intonation, et sa tenue en scène est terriblement forcée. Si l’approche scénique du rôle peut paraître intéressante, il faudrait une tout autre maturité à Candida Guida pour en assumer les exigences, sans sacrifier la qualité du chant.

Passé une entrée aux aigus désagréablement pincés, Lara Lagni s’améliore peu à peu, délivrant notamment une scène de la prison de bonne tenue, plutôt émouvante. Mais, d’évidence, la voix de cette soprano de 26 ans est encore bien trop légère pour Amenaide, qui réclame davantage d’ampleur sur l’ensemble de la tessiture.

La belle voix de basse chantante du Canadien Jean-Philippe McClish fait regretter que le rôle d’Orbazzano ne soit pas plus développé. De son côté, le Colombien Oscar Rey fait entendre, dans les brèves interventions de Roggiero, un timbre très prometteur.

La révélation de la soirée reste le Suisse Remy Burnens, authentique ténor rossinien, aux aigus d’une étonnante facilité. Ce remarquable vocaliste donne au personnage (secondaire) d’Argirio, cette dimension et ce relief qui manquent un peu aux deux protagonistes.

Chacune de ses interventions fait monter le niveau de quelques degrés, et son grand air de l’acte II est un subtil mélange d’expressivité et de technique parfaitement accomplie. Ne serait-ce que pour Remy Burnens, il aurait été intéressant de conserver son duo avec Tancredi, même s’il entre en contradiction avec le coup d’épée par lequel le héros l’assassine, avant de mourir.

Dans la fosse, Benjamin Pionnier tire le maximum de l’excellent Orchestre du TOBS, avec de très bons pupitres solistes et un parfait équilibre fosse/plateau. Quant au Chœur, il ne mérite que des éloges.

Au final, cette production esthétiquement très réussie, avec de beaux costumes et des éclairages raffinés, un peu coincée sur la petite scène de Soleure, devrait trouver à se déployer plus librement sur le plateau du Théâtre des Arts, à Rouen.

ALFRED CARON


© Suzanne Schwiertz

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