Sala Zubin Mehta, 8 mai
Deuxième opéra à l’affiche de la 84e édition du Festival del Maggio Musicale Fiorentino, après Orphée et Eurydice de Gluck (voir O. M. n° 183 p. 38 de juin 2022), et un constat : cette nouvelle production de Roméo et Juliette atteint le bon équilibre entre direction musicale, mise en scène et distribution.
Le premier mérite de Frederic Wake-Walker et son équipe est d’aider le spectateur à mieux comprendre le sens du drame. Cela passe par une attention toute particulière portée aux nombreux rôles secondaires, souvent négligés au profit du couple principal. Cela passe, aussi, par le recours à la danse, bien au-delà du ballet du deuxième tableau de l’acte IV, ici réduit à la « Danse bohémienne ».
La chorégraphie d’Anna Olkhovaya offre, en effet, un contrepoint permanent à l’intrigue, et ce dès l’Ouverture, avec les évolutions des alter ego de Juan Diego Florez et Valentina Nafornita, qui préfigurent la tragédie. Par la suite, les danseurs, habillés en squelettes, imposent l’omniprésence de la mort, dans un dispositif en noir et blanc, comme les costumes du chœur. Même les moments de fête, tel le bal masqué du I, baignent dans une atmosphère morbide.
Plus généralement, on sent chez Frederic Wake-Walker le désir de placer l’opéra entier sous le signe de la nuit, en développant, dans les duos entre Roméo et Juliette, une direction d’acteurs d’une variété et d’une plasticité extrêmes. Rien de convenu, ni de statique dans leurs échanges, mais une poésie délicate qui émeut.
Des structures verticales mobiles, sortes de squelettes architecturaux pleins de vides, délimitent les différents espaces. Au fond, des projections inquiétantes jettent un voile de mystère sur l’enchaînement des événements : un œil interrogateur fixé sur le spectateur, une araignée traversant sa toile…
Juan Diego Florez, qui n’en est pas à son premier Roméo, est à la hauteur des attentes. Salué par une spectaculaire ovation, à la fin de son « Ah ! lève-toi, soleil », le ténor péruvien déploie cette voix unique, ce chant irisé de multiples nuances, ce naturel parfait dans la diction, qui en font l’un des meilleurs titulaires du rôle aujourd’hui. La poésie de ses inflexions et l’infinie variété de son phrasé rendent admirablement compte du personnage, sous toutes ses facettes.
Valentina Nafornita est pour Juan Diego Florez la partenaire idéale, avec la même capacité à varier les couleurs et les accents. La soprano moldave brosse le portrait d’une Juliette passionnée, prête à tout pour vivre son histoire d’amour avec Roméo.
Alessio Arduini est un Mercutio plein d’élan lyrique, Giorgio Misseri, un Tybalt impétueux comme on l’attend, et Vasilisa Berzhanskaya, un Stéphano au chant lumineux. Plus ordinaire, le Frère Laurent d’Evgeny Stavinsky.
La direction d’Henrik Nanasi, solide, attentive aux chanteurs, se montre constamment soucieuse de tension dramatique. On regrette, seulement, un certain manque d’abandon dans les passages élégiaques, comme si le chef hongrois ne laissait pas toujours à la musique le temps de respirer. Dit autrement, le sens de la tragédie prend ici le pas sur la délicatesse des sentiments.
Belle prestation du chœur du Festival, préparé par Lorenzo Fratini, et succès chaleureux au rideau final.
MIRKO SCHIPILLITI